Guinée : Mohamed Diawara dénonce la discrimination des magistrats dans l’octroi de certains privilèges!
Dans un entretien accordé à un de nos reporters, le Juge d’instruction dutribunal de première instance de Kaloum, Mohamed DIAWARA a donné son point de vue sur les conditions de vie des magistrats.
Alors que l’exécutif et le législatif apparaissent comme les principaux pouvoirs publics qui bénéficient de plus de privilèges que le judiciaire, le magistrat près la juridiction de première Instance de Kaloum dénonce ce que l’on pourrait qualifier de discrimination du personnel judiciaire.
« A mon avis, cet état de fait est absolument un stratagème pour soumettre les magistrats aux ordres des pouvoirs politiques. Sinon, comment trouvez-vous qu’un Magistrat, après sa nomination par décret, je dis bien par décret, prenne en charge la quasi-totalité des frais d’installation et de prise de fonctions ? », S’interroge-t-il.
De même, il précise que : « les magistrats et les ministres sont tous nommés par décret. Mais en ce qui concerne leur prise de fonctions, les ministres dès après leurs nominations, en plus de l’allocation des locaux administratifs décents, ils reçoivent des moyens matériels et financiers. Quant aux magistrats, la majorité est tenue de mettre la main à la poche pour, non seulement se créer un cadre de travail approprié, mais aussi s’acheter pour ainsi dire, tous les matériels nécessaires à l’exercice de leurs fonctions ».
Pourtant, l’administration judiciaire constitue l’une des fonctions régaliennes de l’Etat. Mais au lieu que les détenteurs du pouvoir politique ne puissent mettre les magistrats dans de bonnes conditions de travail, ces derniers tournent dos à l’amélioration de leurs conditions de vie. C’est pourquoi dira le juge d’instruction : « cette situation non négligeable, est sans nul doute l’un des facteurs incontestables qui encourage la corruption de certains Magistrats dans les Cours et Tribunaux. (….) pouvez-vous comparer les conditions de travail d’un Magistrat à celles d’un directeur national qui relève de l’autorité hiérarchique d’un ministre, après le Secrétaire Général et le Chef de Cabinet bien sûr ? Vous conviendrez également avec moi que du point de vue privilège, les magistrats sont en réalité en dessous des députés. Ce qui est tout à fait contraire aux garanties constitutionnelles ».
Dans son raisonnement, notre consultant juridique ne va pas du dos de la cuillère : « Ne savez-vous pas qu’aux yeux de nombreux politiques, créer un cadre de travail approprié pour les magistrats affaiblirait probablement leur autorité ? Croyez-vous que l’indépendance totale des magistrats conviendrait aux acteurs politiques ? Ne savez-vous pas que l’insignifiance du budget alloué au Ministère de la Justice est une sorte de conspiration qui résulterait de la connivence des pouvoirs exécutif et législatif ? Cette conspiration n’est-elle pas une arme pour rendre le pouvoir judiciaire plus vulnérable et plus assujetti ? Ne savez-vous pas que c’est la différence du point de vue privilège qui fait que la plupart des ministres de la justice croient être au-dessus de tous les magistrats? Ne savez-vous pas que c’est pour cette raison que ces ministres, même face à l’urgence ou aux questions d’intérêts nationaux et à dimension internationale, font attendre pour longtemps des magistrats indépendants sans motif valable, dans leur salle d’audience, oubliant ainsi leur rôle d’administrateur du service public de la justice? Ne savez-vous pas qu’un tel comportement est une forme de pression que subissent les magistrats du siège qui refusent de se soumettre, dans la gestion des procédures judiciaires, aux ordres d’un ministre de la justice ? »
« J’avoue être éperdument amoureux de la Guinée. Donc face aux nombreux défis à relever pour la consécration d’une justice forte, indépendante et respectueuse des valeurs républicaines, je ne peux, en aucun cas, être de ces magistrats indépendants à désarmer », a indiqué Mohamed DIAWARA.
« Ne savez-vous pas qu’aux yeux de nombreux politiques, créer des conditions de travail appropriées en faveur des magistrats les amènerait à fortifier leur autorité et à sauvegarder jalousement leur pouvoir constitutionnel? Je précise en insistant que favoriser l’indépendance des magistrats en Afrique empêcherait les hommes politiques de tous bords à faire de la vie de la nation ce qu’ils veulent. D’ailleurs, du point de vue conditions de travail, les magistrats sont même en dessous de certains chefs de division voire certains chefs de section des services centraux des départements ministériels ou ceux des Directions Nationales bien que ceux-ci étant nommés par arrêté ministériel » déplore-t-il en ajoutant : « en l’absence des conditions appropriées de travail et d’un cadre décent dans les Cours et Tribunaux, on ne saurait parler d’une justice garante, dynamique et respectée de tous ».
Pour renchérir, il fustige le comportement de certains de ces pairs en ces termes : « je trouve inconcevable, inadmissible et inacceptable qu’un magistrat se laisse influencer par quiconque dans la gestion des procédures judiciaires .Nous tirons notre légitimité de la constitution qui l’a voulue indépendante et impartiale, principes qui s’imposent aux autres pouvoirs. En l’espèce, l’Etat a l’obligation à ce que nous puissions nous acquitter de nos fonctions professionnelles en toute liberté, sans crainte, sans ingérence, sans faire l’objet d’intimidation, de harcèlement, d’aucune sorte et sans devoir assumer de quelque façon que ce soit, une responsabilité civile, pénale ou autre sauf les cas de fautes professionnelles ou disciplinaires ».
« Je profite de l’occasion pour convier les magistrats de l’Afrique, principalement ceux du siège, à se débarrasser de tout complexe à l’égard des politiques, de croire en l’avenir. Il revient indubitablement à chaque magistrat la responsabilité de faire valoir au besoin, de revendiquer régulièrement le respect du principe constitutionnel à l’indépendance du pouvoir judiciaire, ne serait-ce que par des décisions courageuses et motivées », a laissé entendre Mohamed DIAWARA, juge d’instruction au TPI de Kaloum.
Thierno Amadou Oury BALDE pour oceanguinee.com
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