GARAFIRI OU GARAFINI
Lynx numéro 157 du 20 Mars 1995 par Thierno Diallo.
Énergie – Le courant, ça se paie
L’électricité est en phase de devenir un défi permanent en Guinée. En 1958, le premier coup de pioche pour la construction d’un barrage sur le Konkouré est projeté pour Novembre par les colons français. Un mois avant, la Guinée proclame son indépendance. En représailles, Pierre Mesmer alors premier Ministre de Charles De Gaulle organise un débarquement armé à Conakry. Tous les sous laissés par le Colon au trésor public dont ceux destinés à financer le barrage sont récupérés et envoyés à Dakar. Fria qui devait en même temps lancer son programme d’intégration régionale se rétracte.
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Des années après l’indépendance, le Président Sékou Touré relance le dossier Konkouré dans un environnement peu favorable à ses requêtes. Il crée même un ministère de l’énergie et du Konkouré. Malgré les multiples démarches auprès des bailleurs de fonds, l’effort de réalisation de Konkouré sera vain. Le Guide Suprême de la chose (Révolution) exigeante et multiforme mourra sans lever le défi du « projet intégré de Konkouré ».
Le Guinéen continuera à vivre dans l’obscurité après la chute du régime du parti des Geôles et l’avènement de la deuxième République. Plus de 10 ans après le coup d’Etat du 03 Avril 1984, le Président Conté lance son projet de barrage, de dimension plus modeste. Sur le site de Garafiri qui serait, dit-on, une portion du grand Konkouré. En Janvier 1994 on annonce sous tous les toits le bouclage des intentions de financement. Le coût est estimé à 250 millions de dollars américains. Le premier coup de pioche pour la construction de la route d’accès au site est donné le 19 Décembre 1994 par le président de la République. Mais voilà qu’aujourd’hui encore, tout ce qui semblait acquis pour Garafiri continue à poser problème. La banque Mondiale ne serait plus enthousiaste, comme auparavant, pour la libération de sa part de financement. Tous les autres bailleurs de fonds seraient devenus subitement méfiants. Il paraît que seuls la France et le Canada seraient désormais favorables au projet avec des « mais » et des « c’est-à-dire ». Du coup Garafiri est devenu un défi et le président décide de mettre à contribution l’effort national pour construire le barrage.
Pendant ce temps, la Sogel, la société qui gère notre obscurité nationale, galère dur pour fournir aux Guinéens un courant qu’ils ne payent jamais. Tenez ! Les clients doivent à Enelgui et à la Sogel réunies une broutille de plus de 61 milliards de francs guinéens au titre de redevances d’électricité. Dans ce montant, l’Etat doit à lui seul un peu plus de 19 petits milliards, et les divers clients quelque 42 milliards seulement.
Rien qu’à la SOGEL qui fonctionne il y a à peine 8 mois, l’Etat doit un peu plus de 7 milliards et les clients divers quelques 5 milliards. Soit un manque à gagner mensuel cumulé de l’ordre d’un petit milliard de francs guinéens. Pourtant les charges mensuelles de la boîte avoisineraient des milliards. De nos jours, la Sogel vivrait des paiements de ses clients du types « Basse Tensions plus » que sont les missions diplomatiques, les institutions spécialisées de l’ONU et autres experts, et de type « Moyenne Tension » comprenant les sociétés commerciales unités industrielles… Quant à l’Etat qui consommerait 37% de l’énergie produite, les statistiques arrêtées en Janvier 1995 indiquent 0% de paiement contre 51% chez les opérateurs économiques, 29% au niveau des missions diplomatiques et 20% chez les clients divers. Avec ces chiffres, on ne sait pas quel est le bailleur de fonds qui va prendre le risque d’investir dans un secteur où l’Etat n’hésite pas à s’endetter sans payer. Le problème de l’énergie en Guinée est moins un problème de barrage qu’un problème de moralisation des hommes dans la gestion de la chose publique. On ne peut vouloir du courant et refuser de faire face au coût de l’électricité. Un barrage fournit certes le courant tiré de la nature. Mais il a besoin d’être valorisé pour servir aux besoins humains. On ne peut pas prêter son argent à ceux qui ont horreur de payer. « Les François bon cœur » ne court plus les rues. Pour gagner le pari Garafiri et si l’on commençait par s’acquitter de ses arriérés d’électricité ?
Nous y reviendrons…
oceanguinee.com