Pour l’avenir du Mali, le sommet extraordinaire de la Cédéao, dimanche prochain à Accra, sera sans doute décisif. C’est pourquoi Goodluck Jonathan, l’envoyé spécial de la Cédéao, vient le préparer dès ce mercredi à Bamako. Les dirigeants de l’Afrique de l’Ouest vont-ils accepter une transition militaire de cinq ans au Mali ? À priori, non. Mais attention, avec les divisions au sein de la Cédéao, tout peut arriver, nous explique Niagalé Bagayoko, chercheuse au Réseau africain pour le secteur de la sécurité, basé à Accra.

RFI : « La transition doit faire des réformes institutionnelles structurantes pour que les futures élections soient équitables », dit le rapport final des Assises nationales de Bamako. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Niagalé Bagayoko : C’est l’un des volets qui, d’un point de vue déclaratoire, pourrait être le plus crédible selon moi dans la mesure où l’on s’aperçoit que les cycles électoraux successifs suscitent de moins en moins l’adhésion des populations, que l’on est face à une sorte de désillusion démocratique, et que donc l’idée que la mise en œuvre de réformes doit primer sur l’organisation des scrutins peut s’entendre. Ce qui est le plus problématique en revanche, ce sont les délais prévus pour la mise en œuvre. Parce qu’un délai de cinq ans, en réalité six ans et quelques mois depuis l’arrivée au pouvoir de la junte, est véritablement problématique. Cela excède même la durée d’un mandat électif dans un grand nombre de démocraties.

Et la presse malienne de souligner le fait également que le colonel Assimi Goïta devrait tirer la leçon de l’histoire qui montre que tous ses frères d’armes qui ont pris le pouvoir par la force en sont ressortis par la petite porte. Est-ce que c’est si vrai que cela ?

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Alors, c’est vrai dans une certaine mesure, mais ils sont quand même demeurés au pouvoir pendant de très longues années. Si l’on prend le cas de Moussa Traoré qui a effectivement quitté le pouvoir seulement au bout d’une vingtaine d’années. Moussa Traoré qui, d’ailleurs, est demeuré, paradoxalement ou non, jusqu’à son décès récent, une figure perçue comme très crédible et comme un recours éventuel en termes de conseil ou d’orientation politique. Le cas d’Amadou Toumani Touré est différent puisque lui-même avait choisi de laisser le pouvoir aux civils et il est revenu par le biais d’un scrutin démocratique. Et si l’on prend le cas d’Amadou Sanogo, il n’a effectivement pas pu prolonger son passage au pouvoir, mais il a bénéficié d’une amnistie. Donc, je ne partage pas totalement cette analyse.

Et, est-ce que les 23 ans de régime du général Moussa Traoré peuvent être le modèle du colonel Assimi Goïta et du Premier ministre Choguel Maïga ?

Je pense que c’est extrêmement difficile, mais que tout l’enjeu se situe là en réalité. Parce que ce qui est au cœur de la situation malienne aujourd’hui est de savoir ce qu’est réellement la démocratie, parce que bien entendu le contexte international n’est absolument pas le même que celui dans lequel a exercé ses fonctions Moussa Traoré, mais l’on s’aperçoit d’un durcissement sur la scène internationale plus généralement qui pourrait suggérer qu’en effet des pouvoirs plus autoritaires s’installeront. Cela dit, aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, à l’heure où un certain nombre d’organisations de la société civile ont acquis une certaine liberté de parole, si ce n’est d’influence, il pourra, à mon avis, être extrêmement difficile de s’inspirer de l’expérience de Moussa Traoré.

Ces Assises nationales de Bamako ont été boycottées par de grandes coalitions de l’opposition, mais malgré tout, est-ce que la junte et son Premier ministre Choguel Maïga ne bénéficient pas tout de même d’une certaine base populaire ?

Il semble que oui, indéniablement. Ce qui caractérise l’actuel régime au pouvoir au Mali est à la fois une grande habileté d’un point de vue diplomatique, sur la scène internationale, mais aussi la capacité à répondre à certaines des aspirations populaires qui ont provoquées les manifestations massives qui ont conduit à la destitution du président IBK. Je pense notamment à la mise en œuvre de cette politique en matière de lutte contre la corruption qui est extrêmement populaire, tout comme de l’intention manifeste d’élargir les partenariats stratégiques avec les différents acteurs internationaux. Mais il n’est cependant pas certain que la junte réponde à toutes les attentes, et notamment d’un point de vue sécuritaire parce qu’aujourd’hui c’est quand même l’enjeu majeur.

Dimanche se tiendra un sommet extraordinaire de la Cédéao sur le Mali. Qu’est-ce que vous en attendez ?

Je pense que ce sommet est absolument crucial. Non pas seulement pour le Mali, mais pour la Cédéao elle-même. Parce que l’on parle très souvent du sentiment qui se manifeste contre la France, contre la Minusma, contre les acteurs internationaux en général, derrière lesquels on voit une instrumentalisation, mais on parle beaucoup moins de ce rejet de plus en plus massif dont fait l’objet la Cédéao en raison des contradictions entre son mandat et les objectifs qu’elle s’est fixée et les décisions prises. De manière très concrète, la Cédéao, à travers la vision 2020 qui avait été adoptée en 2007, avait résolu de passer d’une Cédéao des États à une Cédéao des peuples. Et on s’aperçoit, à l’inverse, qu’il s’agit d’une organisation dont les décisions sont de plus en plus intergouvernementales et qui contribuent à asseoir, si ce n’est des coups d’États, en tout cas des manipulations ou des changements constitutionnels qui sont peu conformes notamment au protocole de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance. Donc, il s’agira de voir dans quelle mesure ce sommet permettra à la Cédéao de jouer sur cette ligne de crête extrêmement étroite entre des sanctions crédibles et qui puissent être efficaces, parce que touchant au cœur du fonctionnement de l’État malien, sans se mettre à dos les populations maliennes ou plus largement celles de la sous-région.

Donc vous êtes contre un éventuel blocus économique du Mali ?

Toute la difficulté des sanctions économiques est précisément le fait qu’elles touchent avant tout les populations davantage que les dirigeants. La Cédéao a adopté récemment des mesures qui touchent un nombre limité de personnalités, quand je dis limité c’est un nombre qui est relativement large, et cela de manière inédite puisqu’il s’agit de 150 personnes, dont les biens et les avoirs et les possibilités de voyager ont été restreints. Mais on voit très bien que cela n’a absolument pas empêché les autorités actuelles de prendre des décisions qui vont à l’encontre des demandes de la Cédéao. Donc, effectivement, les mesures les plus efficaces sont celles qui touchent le plus grand nombre de Maliens, mais attention pace que le rôle des opinions publiques, le rôle de la colère et de l’exaspération populaire devient, à mon avis, le facteur central de l’évolution actuelle de la gestion de la crise malienne et plus largement de la crise sahélienne.

Et quelle est l’alternative à un blocus économique ?

Il y a, en réalité, extrêmement peu de solution. C’est là que l’on voit la problématique posée par tout le décalage entre l’arsenal institutionnel et juridique, qui a été construit depuis les années 2000 dans le cadre de la Cédéao et de sa mise en œuvre, si l’on regarde l’ensemble de ces textes, y compris le protocole dont je parlais, qui est additionnel au mécanisme de gestion des conflits lui-même adopté en 1999 et aux différents codes de conduite des forces armées et de sécurité. Tous les éléments existent d’un point de vue formel. Mais on s’aperçoit que leur mise en œuvre n’a finalement jamais, véritablement, été appliquée, donc on se retrouve face à une situation dans laquelle les possibilités d’action sont extrêmement restreintes. Aujourd’hui, je crois malheureusement que l’on s’achemine vers des régimes davantage autoritaires, sans doute beaucoup moins respectueux d’un certain nombre de pratiques démocratiques, mais dont il ne faut pas croire qu’ils pourront s’éterniser au pouvoir, puisqu’une fois de plus, je pense qu’il faut qu’ils répondent aussi aux attentes des populations dont l’exaspération pourrait aussi, très rapidement, les balayer.

Donc en fait, vous prônez la clémence pour les dirigeants ouest-africains qui se réuniront dimanche prochain, c’est ça ?

Non, absolument pas. Moi, je pense qu’il faut absolument appliquer les principes qui sont consignés dans les textes et être extrêmement ferme dans leur imposition. Mais je ne suis pas certaine qu’ils puissent être suivis d’effets étant donné l’ensemble des contradictions que l’on a vues dans la prise de position d’instances comme la Cédéao ou comme l’Union africaine au cours des dernières années.

Oui, c’est-à-dire que vous pensez qu’il y a des divisions au sein de la Cédéao, avec des États inflexibles comme le Niger, et des États peut-être plus compréhensifs à l’égard de la junte malienne comme le Sénégal ?

Absolument, comme le Sénégal, comme le Togo, que l’on peut citer également. On voit très bien que le camp le plus inflexible n’est pas forcément majoritaire à l’intérieur de l’organisation. Et c’est là que l’on en revient à la logique intergouvernementale dont je parlais, où le type d’accession au pouvoir des différents présidents actuellement en place ne peut que peser sur les décisions qu’ils sont amenés à prendre par la suite.

Et si la Cédéao cède à la junte malienne sur cette transition de cinq ans, est-ce qu’elle ne devra pas céder aussi à la junte guinéenne ?

Tout à fait, c’est à cela que je pensais. C’est pour cela, à mon avis, que l’enjeu de ce sommet est tout aussi important pour l’avenir de la Cédéao elle-même que pour celui du Mali. Aujourd’hui, il en va de la crédibilité de tout ce qui a été construit pendant une vingtaine d’années, qui est mis à l’épreuve des faits, et il est attendu, effectivement, de l’ensemble des acteurs de voir s’ils sont capables de mettre en application les principes qu’ils prônent pour leurs voisins de la sous-région, sans pour autant se les appliquer à eux-mêmes.

Lors des travaux de conclusions des Assises nationales de la semaine dernière, les Russes ont été applaudis à Bamako. Les Occidentaux dénoncent publiquement l’arrivée du groupe Wagner au Mali, mais sans annoncer le retrait de la force Barkhane ou de la force Takuba. Est-ce à dire que la junte au pouvoir à Bamako est en train de réussir son pari de faire cohabiter soldats français et mercenaires russes ?

C’est là que l’on voit tout le danger qu’il y a eu à fixer sans arrêt de nouvelles lignes rouges qui ont finalement toujours été franchies par les autorités maliennes, que ce soit lorsque la France a exigé que toute négociation avec des groupes jihadistes soit exclue ou lorsqu’elle a demandé à ce que le calendrier électoral soit respecté. Et de nouveau aujourd’hui, en ce qui concerne l’arrivée de ce groupe, en effet, la déclaration du 23 décembre qui a été adoptée par un grand nombre de pays européens, quinze, plus le Canada, est effectivement étonnante puisque, alors qu’il avait été répété notamment par la France qu’elle quitterait le Sahel ou enfin en tout cas qu’elle ne pourrait absolument pas cohabiter avec le groupe Wagner, cette déclaration affirme que la France, les partenaires européens, resteront dans le pays. Donc, oui, à mon avis, il s’agit d’une victoire diplomatique pour la junte malienne de ce point de vue-là. Mais est-ce que cela pourra tenir d’un point de vue opérationnel ? Là encore, on pourra se poser la question dans la mesure où l’on voit très bien que le grand nombre d’acteurs sécuritaires internationaux d’ores et déjà présents sur place a eu les plus grandes difficultés à coordonner ses actions les unes avec les autres. Et l’on peut douter que cela s’améliore avec l’arrivée de ce nouvel acteur.