C’est un récit enormissime qu’a livré une présumée victime des événements douloureux enregistrés au stade de Conakry, le 28 septembre 2009. Ce jour là, alors que des leaders politiques s’étaient regroupés dans l’enceinte dudit stade pour dire NON à une éventuelle candidature du chef de la Junte d’alors, le capitaine Moussa Dadis Camara, des militaires et autres personnes infiltrées armées d’armes blanches, apprend-on, avaient fait irruption pour transformer le lieu du meeting en un véritable abattoir humain. Un bilan de 157 morts, des blessés graves et une centaine de femmes violées.
Rencontrée par la rédaction de votre site lerevelateur224.com ce lundi, 28 novembre 2022, cette dame que nous avons surnommée Manty, victime de viol au stade du 28 septembre est revenue sur la journée de ce lundi noir, taché de sang.
“Le lundi 28 septembre 2009, tout ce qui s’est passé de 7h à 9h entre monsieur Moussa Tiegboro Camara et monsieur Sidya Touré, j’étais là, j’étais la seule derrière ces leaders et la jeunesse. De 9h à 10h, on est rentrés dans le stade.
À 11h45, j’ai vu des pick-ups entrer avec des bérets rouges en train de tirer sur la foule. Quand les militaires ont fini de tirer des deux côtés, troisième, maintenant, ils ont fait face à nous, c’est en ce moment que les gens ont dit: les leaders sont là, les leaders sont là. Comme j’étais toujours derrière les leaders, c’est le talkie-walkie du garde du corps de monsieur Sidya Touré qui est tombé, je l’ai ramassé. Il y a un militaire qui est venu. Voulant me taper sur la tête, je l’ai prié, je lui ai dit de me laisser à cause de sa maman, j’ai dit que je suis une vieille. Il me dit qu’est-ce que je fais avec un talkie-walkie, j’ai dit que je l’ai ramassé ici. Il me dit remets moi, je le lui ai remis. Il me dit descends, pour moi je suis libre, je peux sortir sans rien avoir.
Les gens voulaient sortir, mais ils avaient mis le courant, il y avait le gaz, il y avait des tirs, il n’y a pas ce qu’ils ne faisaient pas.
Moi, je suis tombée sur des cadavres. Quand je suis tombée, c’est un jeune peulh qui m’a dit: Néné n’acceptez pas de tomber, j’ai dit que je n’ai pas de force. Il me dit: maintenant je tiens votre bras, tout ce qui va nous arriver, ça sera à nous deux. Mais de là, quand ils ont fini de tirer, c’est les machettes là qu’on a vues, les armes blanches. Là aussi, qu’est-ce qu’ils faisaient, les bérets rouges toujours comptaient les gens, quand on dit : 1, 2, 3, on tape sur le 4ème même sur la figure avec les armes blanches, que tu sois vivant ou mort. Ils étaient encagoulés aussi”, a-t-elle expliqué d’entrée.
“Par après, je suis tombée, je me suis évanouie. Je me me suis séparée avec le jeune, je ne sais pas s’il est vivant ou s’il est mort. Je me demande même qu’est-ce que ce jeune est devenu ? Quand je suis tombée, évanouie, un gros militaire habillé en béret vert est venu me tirer les cheveux par la nuque m’a jetée. Quand je suis tombée, quand j’ai ouvert les yeux, il me dit qu’est-ce que tu cherches ici? J’ai dit c’est Dieu. Il dit: sort! J’ai dit que je ne peux pas, je ne sais même pas où je suis. J’ai dit: aidez moi! Lui aussi m’a laissée là-bas. C’est quand je me suis retrouvée, j’ai rampé à quatre pattes, maintenant je suis arrivée à la porte. . Voulant me soulever pour que je sorte, c’est un autre qui arrache ma montre et il me déshabille. Il m’a jetée et quand je suis tombée, il y a un autre béret rouge qui vient écarter mes jambes, y a a pas ce qu’il n’a pas fait. Je ne pouvais pas me lever, le sang coulait sur moi. C’est un policier communal qui était là qui était très inquiet pour moi, parce qu’il voyait comment on massacrait les gens avec les machettes, on violait les jeunes filles même avec leurs chaussures. Ils soulevaient leurs pieds avec leurs fusils pour faire rentrer dans le sexe de ces filles là. Ça, j’ai vu de mes propres yeux. Le policier communal là m’a fait signe de venir, je croyais que celui-ci aussi venait pour me tuer, je ne sais pas. Mais, il a fait semblant de crier sur les autres, il est venu me ramasser. Comme j’étais dans un bain de sang, ma robe était déchirée, j’étais sans habit. Même le soutien-gorge qui était là était descendu. Il dit qu’il est inquiet, il dit: maman, il faut crier fort pour que je puisse t’aider, j’ai dit que je n’ai pas de voix. Étant arrêtée, le même béret rouge est venu avec la crosse de son fusil, il me tape sur les hanches et ça aussi c’est le sang qui a coulé directement. Le jeune policier dit je suis en train de le sauver vous faites ça aussi, il dit c’est les vieilles femmes là qui sont en train de gâter la Guinée, j’ai dit euh Dieu !
Le jeune policier m’a pris, il m’a envoyée dans une famille Bangoura à côté, à Landreah. C’est la famille là qui s’est occupée de moi. Mais peu après, c’est les mêmes bérets rouges qui sont venus pour dire à cette famille de nous faire sortir pour nous terminer en disant que s’ils ne nous terminent pas, nous allons les dénoncer. Elle nous avait fait rentrer sous le lit, elle dit qu’il n’y a personne, tout en criant: donc vous êtes venus pour nous tuer. Elle s’arrête à la porte et soulève les rideaux et dit: faites de nous ce que vous voulez! Donc, ils ont quitté là-bas.
Le jeune (Policier ndlr) qui m’a sauvée a cherché la croix rouge et lui a fait venir jusqu’à la concession là-bas pour me camoufler. Ils ont mis les draps sur moi, on m’a mis dans le cercueil de la croix rouge pour m’amener à Donka vers 18h”, a raconté notre interlocutrice.
Plus loin, elle confirme le débarquement des hommes en tenue dans les hôpitaux à la recherche des patients dans le but d’effacer toute trace de preuve ou de témoin.
“A Donka aussi, on m’a pris comme un bébé parce que je ne pouvais pas marcher. Je n’étais pas la seule, mais les gens souffraient de trop, les gens criaient par ci par là. C’est maître Thierno Madjou, ancien président de l’OGDH qui nous apportait de l’eau. Après, on nous dit d’aller chercher les produits à la pharmacie. J’ai dit que je ne peux marcher, j’ai dit: il faut m’aider. Là aussi, c’est un autre jeune qui m’a tenue, il dit: maman je vais vous aider pour avoir les produits. Quelques minutes après, c’est un groupe de militaire qui vient aussi pour dire ceux qui ont fini les soins de sortir, moi j’étais là enflée, je ne pouvais pas marcher. Des victimes étaient là, elles ne pouvaient pas marcher, il y avait un monsieur qui était là qui crachait du sang comme il crachait de l’eau. En ce moment, j’ai regardé la garde qui était là, j’ai regardé les victimes. J’ai dit en bon poular: nous les rescapés du stade, asseyons nous ici, s’ils sont venus à notre recherche, ils n’ont qu’à nous tuer ici. Ça au moins, on va dire que c’est à l’hôpital qu’on nous a tués. Ils étaient en polo vert, pantalon noir, bérets verts. Les docteurs qui étaient là parmi lesquels: Hadja Mariama Djélo, je me rappelle, elle était là avec son groupe en train de faire sortir des produits pour nous aider à nous soigner. En ce moment ils (les médecins ndlr) ont dit ça, c’est du jamais vu, même dans les pays en guerre, on ne peut pas prendre les rescapés au moment de la guerre, on les envoie à l’hôpital et vous venez les chercher. Vous n’êtes pas venus chercher des victimes, vous êtes venus nous tuer. Ils se sont mis en rang, en blouse en disant : tirez sur nous. C’est après le monsieur a dit: autant pour moi, il dit à ses gardes allons-y. Ils sont sortis. Quelques 10 minutes après, j’ai été la première femme à parler sur nostalgie, c’est en ce moment que ma famille a su que j’ai eu quelque chose au stade”, nous a-t-elle confié.
De la commission du massacre du 28 septembre à aujourd’hui, notre interlocutrice dit avoir perdu son foyer et traverse un moment difficile de par son rejet de la société.
“Depuis les événements, nous étions marginalisés parce que moi qui vous parle, j’étais pas d’accord avec mon mari. Même quand je partais au stade, je l’avais dit que je vais au stade. Mais, quand il a su que j’ai eu ces problèmes là, il s’est éloigné. Là où je suis aujourd’hui, c’est grâce à son oncle patenel qui nous a fait venir ici. Il a dit que je ne peux pas l’abandonner étant donné la femme là est avec ses enfants, étant donné qu’elle est marginalisée par la famille. Elle n’est pas en sécurité, moi je ne peux pas l’abandonner. D’autres difficultés que j’ai rencontrées, j’étais traumatisée. Même quand je me couche, c’est ce film là qui me revient”, dit-elle.
Aujourd’hui, elle regagne le sourire grâce au soutien et l’assistance de l’AVIPA :
“Mais grâce à l’AVIPA à travers sa présidente qui se bat auprès des institutions nationales et internationales pour aider ces victimes dont moi, ‘ai bénéficié des soins médicaux, de la thérapie, de la psychologie. Il y a la fondation de Dr Mohamed Lamine Chérif. Nous avons été soutenus médicalement et psychologiquement et jusqu’à maintenant, nous continuons avec les soins”, rapporte notre interlocutrice, qui se dit satisfaite de l’ouverture du procès dans cette affaire, 13 ans après après ces douloureux événements.
“On ne croyait pas à l’ouverture de ce procès, mais grâce à Dieu, grâce à la volonté de la junte actuelle qui a osé pour que ce procès là ait lieu. C’est une junte qui a tué, massacré, violé et ils ne veulent pas reconnaître ça et c’est une junte qui veut faire une réparation pour la nation entre les filles et fils du pays. Ça, ça nous va droit au cœur. J’ai assisté au début du procès, ça ça m’à donné un espoir. L’espoir que çava aboutir parce que ce jeune ministre Alphonse Charles Wright, nous avons confiance en lui. Et nous avons vu les procureurs surtout le procureur Général, son courage, sa volonté et sa conviction pour que la vérité jaillisse et que la Guinée soit une famille et que les Guinéens se réconcilient. Ça aussi, c’est un grand pas pour nous. Nous espérons que le droit sera dit dans ce procès. Ce que le ministre a promis il le fera et nous avons confiance que justice sera faite”, a-t-elle déclaré avant de demander justice.
“Nous voulons la justice, la justice pour que les survivants, les parents des morts puissent savoir où sont les fosses communes où sont enterrés leurs enfants, époux et femmes pour qu’on puisse faire les funérailles et que les femmes puissent faire leurs deuils. Ça aussi, ça peut soulager la famille et nous les victimes aussi qu’il y ait la justice, pour que le 28 septembre ne se répète plus et qu’il y ait la reconnaissance et la réparation”, a-t-elle lancé.
Malgré le viol subi, Manty dit être prête à pardonner ses bourreaux après un procès juste et équitable.
“On ne peut pas oublier, mais le pardon, s’ils reconnaissent que ce qu’ils ont fait ce n’est pas normal et qu’ils ont tort et ils demandent pardon, on peut pardonner. Mais s’ils ne reconnaissent pas, qu’ils soient condamnés”. a-t-elle conclu.
Source: Lerevelateur224.com