Depuis que le processus d’évaluation des partis politiques a été lancé par le ministère en charge de l’Administration du Territoire, l’on entend toutes sortes d’arguments pour justifier le bien-fondé de cette opération qui, faut-il le dire avec insistance, n’est pas mauvaise en soi.
Mais la pertinence de certains arguments peut être sujette à caution. Quand on évoque par exemple la question de l’alternance au sein des organes dirigeants des partis politiques en la mettant en parallèle avec l’alternance dans la direction d’un pays, il y a des questions qui se posent.
L’alternance à la tête d’un pays résulte soit de la règle de la limitation du nombre de mandats inscrite dans la constitution soit des élections.
Si les dirigeants respectent cette règle ou se soumettent aux résultats des élections quand ils sont battus, il y a forcément une alternance. Ce qu’il est très important de noter, c’est que la limitation du nombre de mandats n’est pas le seul moyen de parvenir à une alternance à la tête d’un pays. L’Allemagne vient de connaître une alternance alors que la limitation du nombre de mandats n’est pas inscrite dans sa loi fondamentale. Cette alternance résulte des dernières élections législatives.
En ce qui concerne les partis politiques en Guinée particulièrement, la limitation du nombre de mandats des dirigeants n’est généralement pas consacrée dans leurs statuts, étant entendu que les statuts sont, en quelque sorte, la loi fondamentale des partis politiques. C’est donc à travers l’organisation d’élections en vue du renouvellement des structures d’un parti politique, suivant la périodicité indiquée dans ses statuts, que l’on peut espérer obtenir une alternance à sa tête.
Mais il ne faut pas se leurrer. Dans nos partis politiques, il est difficile voire impossible qu’il y ait une alternance même lorsque des élections sont régulièrement organisées, surtout quand il s’agit du ‘’leader’’. Cela dépend en grande partie des conditions dans lesquelles le parti a été créé et surtout de son mode financement.
Dans la majorité des cas, l’initiative de la création d’un parti politique émane d’une personne qui fait appel à d’autres ou d’un groupe d’amis. Très souvent, c’est celui qui est à la base de la création du parti qui en prend naturellement le leadership avec l’acceptation plus ou moins tacite des autres fondateurs.
Et dans ces conditions, les élections des organes dirigeants constituent une simple formalité. Mais l’aspect le plus important demeure le financement du parti. Nul n’ignore que la très grande majorité de ceux qu’on peut appeler ‘’militants’’ n’apportent pas grand-chose à leurs partis en terme de financement.
Autrement dit, ils ne cotisent pas, n’achètent pas les cartes de membres. Pratiquement, tout repose sur la tête du leader, dans un pays, où de surcroît, les partis politiques ne bénéficient pas de fonds de la part de l’État. Le leader du parti s’appuie parfois sur des ‘’amis’’, des soutiens tant dans le pays qu’à l’étranger, pour faire vivre ‘’son’’ parti, en plus de ses propres ressources.
La conséquence d’une telle situation est que le premier dirigeant du parti, et de fait le principal bailleur de fonds dudit parti, n’a souvent pas de concurrents lors des congrès électifs. C’est ainsi qu’un même leader politique en vient à rester à la tête de sa formation politique pendant plusieurs années.
En conséquence, il ne suffit pas d’indiquer dans une loi que les partis politiques fonctionnent ou doivent fonctionner sur la base des principes de la démocratie et de l’alternance comme c’est le cas dans l’avant-projet de nouvelle constitution.
Il faut analyser la question de manière assez approfondie en s’intéressant notamment au mode de financement de ces partis politiques.
Au regard des contraintes liées à la gestion d’un parti politique dans notre pays (le constat pourrait être le même dans d’autres pays en Afrique), beaucoup d’acteurs n’aimeraient pas forcément être à sa tête. C’est un gros poids.
La démocratie et l’alternance sont nécessaires dans un parti politique. Mais il est important de tenir compte des contraintes décrites plus haut et de faire preuve de réalisme toutes les fois qu’il est question de prendre des mesures contre un parti politique.
En d’autres termes, il faut allier souplesse et rigueur dans le contrôle que le MATD exerce sur les partis politiques relativement à certains aspects de leur fonctionnement.
Mohamed TRAORE