Le malaise derrière le soutien d’enseignants au CNRD : entre instrumentalisation et perte de depères
𝐋𝐞 𝐦𝐚𝐥𝐚𝐢𝐬𝐞 𝐝𝐞𝐫𝐫𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐥𝐞 𝐋𝐚 𝐫𝐞́𝐜𝐞𝐧𝐭𝐞 𝐦𝐨𝐛𝐢𝐥𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝’𝐮𝐧 𝐠𝐫𝐨𝐮𝐩𝐞 𝐝’𝐞𝐧𝐬𝐞𝐢𝐠𝐧𝐚𝐧𝐭𝐬 𝐞𝐧 𝐟𝐚𝐯𝐞𝐮𝐫 𝐝𝐮 𝐂𝐨𝐦𝐢𝐭𝐞́ 𝐍𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥 𝐝𝐮 𝐑𝐚𝐬𝐬𝐞𝐦𝐛𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐥𝐞 𝐃𝐞́𝐯𝐞𝐥𝐨𝐩𝐩𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 (𝐂𝐍𝐑𝐃), 𝐬𝐮𝐬𝐜𝐢𝐭𝐞 𝐝𝐞 𝐧𝐨𝐦𝐛𝐫𝐞𝐮𝐬𝐞𝐬 𝐢𝐧𝐭𝐞𝐫𝐫𝐨𝐠𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐥’𝐨𝐩𝐢𝐧𝐢𝐨𝐧 𝐩𝐮𝐛𝐥𝐢𝐪𝐮𝐞. 𝐂𝐞 𝐬𝐨𝐮𝐭𝐢𝐞𝐧 𝐚𝐟𝐟𝐢𝐜𝐡𝐞́ 𝐚̀ 𝐮𝐧 𝐫𝐞́𝐠𝐢𝐦𝐞 𝐦𝐢𝐥𝐢𝐭𝐚𝐢𝐫𝐞, 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐮𝐧 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐞𝐱𝐭𝐞 𝐧𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥 𝐦𝐚𝐫𝐪𝐮𝐞́ 𝐩𝐚𝐫 𝐥𝐚 𝐜𝐫𝐢𝐬𝐞 𝐞́𝐜𝐨𝐧𝐨𝐦𝐢𝐪𝐮𝐞, 𝐥𝐞𝐬 𝐫𝐞𝐬𝐭𝐫𝐢𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐝𝐞 𝐥𝐢𝐛𝐞𝐫𝐭𝐞́𝐬 𝐞𝐭 𝐥’𝐞𝐬𝐬𝐨𝐮𝐟𝐟𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐮 𝐬𝐲𝐬𝐭𝐞̀𝐦𝐞 𝐞́𝐝𝐮𝐜𝐚𝐭𝐢𝐟, 𝐬𝐨𝐮𝐥𝐞̀𝐯𝐞 𝐮𝐧𝐞 𝐪𝐮𝐞𝐬𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐟𝐨𝐧𝐝 : 𝐥’𝐞𝐧𝐬𝐞𝐢𝐠𝐧𝐚𝐧𝐭 𝐠𝐮𝐢𝐧𝐞́𝐞𝐧 𝐞𝐬𝐭-𝐢𝐥 𝐞𝐧 𝐭𝐫𝐚𝐢𝐧 𝐝𝐞 𝐩𝐞𝐫𝐝𝐫𝐞 𝐬𝐨𝐧 𝐫𝐨̂𝐥𝐞 𝐜𝐫𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐚𝐮 𝐩𝐫𝐨𝐟𝐢𝐭 𝐝’𝐮𝐧𝐞 𝐩𝐨𝐬𝐭𝐮𝐫𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐨𝐫𝐦𝐢𝐬𝐭𝐞 𝐝𝐢𝐜𝐭𝐞́𝐞 𝐩𝐚𝐫 𝐥𝐚 𝐬𝐮𝐫𝐯𝐢𝐞 𝐨𝐮 𝐩𝐚𝐫 𝐥’𝐨𝐩𝐩𝐨𝐫𝐭𝐮𝐧𝐢𝐬𝐦𝐞 ?
Le malaise est profond. Dans une atmosphère de crise profonde, d’incertitudes politiques et de précarité persistante dans les écoles publiques, ce soutien public au nouvel empereur de Conakry et à son organisation privée le CNRD, a suscité une vague d’indignation. Une partie de l’opinion s’interroge : pourquoi maintenant ? À quel prix ? Et surtout, pour quels acquis tangibles ?
Malgré cela, dans une interview accordée à Africaguinee.com, Aboubacar Soumah, secrétaire général du Syndicat Libre des Enseignants et Chercheurs de Guinée (SLECG), a tenté de justifier cette initiative. L’homme qui fut autrefois la figure de proue de la revendication syndicale des enseignants, celui qui porta la lutte pour un salaire de base à 8 millions, semble aujourd’hui désireux de réorienter le narratif. À quel dessein et à quel prix ? On l’ignore.
Ce revirement apparent pose une autre question : à quoi sert aujourd’hui le syndicalisme enseignant en Guinée ? À défendre les droits collectifs ou à servir de courroie de transmission politique ? Pourtant, les faits sont têtus : aucune avancée structurelle significative n’a été démontrée par Aboubacar Soumah dans cette interview, ni de réforme en profondeur, ni de revalorisation salariale, encore moins un plan de formation à la hauteur des défis.
“En apprenant, vous enseignerez, et en enseignant, vous apprendrez”, affirmait Phil Collins. Cette citation résonne comme un rappel amer face au spectacle opprobre des enseignants. Une démonstration jugée déplacée par de nombreux observateurs, au regard de la situation actuelle du pays et du rôle attendu de l’enseignant dans la société : des éducateurs censés incarner l’éveil des consciences, réunis pour célébrer un pouvoir qui, jusqu’ici, peine à apporter des réponses concrètes aux attentes des guinéens. Ce décalage entre le geste et la réalité vécue sur le terrain interroge.
Il est triste de constater que certains enseignants se sont éloignés des valeurs, s’inscrivant dans une culture de la démagogie, en louant des “acquis” non encore acquis. Une dérive inquiétante qui mérite d’être analysée avec rigueur.
Cette mise en scène où des enseignants ont été mobilisés pour chanter à la gloire du CNRD et de son leader, a été une journée noire de justifications douteuses qui a profondément choqué tous ceux qui reconnaissent la valeur et le rôle critique de l’enseignant dans la société.
Nous ne sommes pas amnésiques. L’état des lieux de l’éducation guinéenne avant 2010 et de 2010 à 2021, parle de lui-même. Nous y étions : enseignants dans les lycées et collèges de Kankan et Kouroussa de 2011 à 2013, correcteurs du BEPC en 2012. Nous avons vu, entendu, vécu l’évolution des primes, l’amélioration relative des conditions.
Nous avons aussi écouté, depuis plus d’une décennie, les témoignages d’enseignants à travers nos reportages et émissions interactives. Ces voix racontent les avancées, les attentes, les frustrations et autres. D’où la question : quels acquis réels le CNRD a-t-il apporté depuis sa prise de pouvoir ?
C’est aussi le lieu de rappeler une vérité fondamentale à nos enseignants : ils n’ont aucune redevabilité envers l’État. C’est au contraire à l’État de leur rendre hommage, de les doter de moyens, de les accompagner. Mais cela ne doit pas faire oublier le chemin parcouru durant la décennie précédente. Les chiffres existent, les faits sont vérifiables.
En toute lucidité, il convient aussi de s’interroger : sommes-nous fiers de la qualité de travail de nos enseignants, de ce qu’ils ont transmis à la génération née après 1984 ? Que vaut une instruction sans éducation ? Une éducation vidée de morale, de valeurs humaines, sociétales, culturelles et spirituelles ? Et surtout, qui, parmi les élèves d’aujourd’hui, souhaiterait devenir comme leurs propres enseignants ?
Les défis sont nombreux, pour l’État mais aussi pour les enseignants eux-mêmes. Aucun texte de loi n’a prescrit la vente de notes, ni la corruption pédagogique. Aucune disposition ne force les enseignants à traîner leurs élèves dans les marées populistes et politiciennes.
Pourtant, les pratiques existent. Et ces contre-valeurs de démagogie, fainéantise, malhonnêteté et cupidité, n’ont jamais été enseignées dans les manuels scolaires. Alors pourquoi dominent-elles aujourd’hui notre ? Pourquoi notre jeunesse, privée de repères, incarne-t-elle ces maux ?
Pour rappel, nous étions là, au collège de Donka, en 2017, lorsque la première grève du SLECG a déclenché. La revendication principale : un salaire de base à 8 millions GNF. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Cette exigence est-elle toujours d’actualité ? Quels gains ont été obtenus sous le CNRD ?
Souvenons-nous aussi des accusations internes au SLECG. Aboubacar Soumah avait dénoncé son adjoint Oumar Tounkara comme une “taupe” du pouvoir, corrompue à hauteur de 150 millions. Ce dernier avait alors répliqué :
« Je n’ai jamais reçu rien de qui que ce soit. Le corrompu de tous les corrompus, c’est Aboubacar Soumah. Il a reçu une RAV4, deux villas, des forages et ses enfants sont à l’extérieur. »
Dans une autre déclaration, Tounkara enfonçait le clou :
« Aboubacar Soumah s’est servi des enseignants pour satisfaire ses besoins personnels. À cause de lui, nous avons perdu une revalorisation salariale de base de 4 millions en 2019. »
Nul ne peut ignorer ou effacer les dérives du régime défunt et de tous les autres qui l’ont précédé. Mais, il serait malhonnête de nier les efforts déployés sous le régime précédent pour améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants. Ces résultats sont mesurables, consultables dans les archives des institutions nationales et auprès des partenaires de l’éducation. Il faut savoir reconnaître les efforts du passé pour mieux juger le présent.
Alors, au lieu de discours creux et populistes, nous attendons des données concrètes. Qu’a apporté le CNRD aux acteurs de l’éducation, des salaires, des conditions de travail ? Que reste-t-il de la revendication à 8 millions qui a longtemps paralysé le secteur dans un passé récent ?
Comme le disait Tupac Shakur : “Je ne dis pas que je vais changer le monde, mais je vous garantis que j’allumerai l’étincelle dans le cerveau qui le changera.”
En Guinée, cette étincelle, peine à être allumée pour ensuite s’alimenter. Et, elle ne pourra jamais jaillir d’une mascarade organisée pour glorifier un régime sans résultats. Elle ne peut naître dans une ambiance où l’on confond loyauté et allégeance, où l’on sacrifie la vérité sur l’autel de la survie.
A cette allure, il est plus que jamais impérieux de faire un sursaut moral et intellectuel pour sauver notre pays. La médiocrité ne fera que prolonger l’obscurité mentale et scientifique. L’heure est à l’éveil, à la lucidité et à l’engagement véritable. Pour l’école. Pour les enseignants. Pour la Guinée. Pour l’avenir.
𝐁𝐚𝐛𝐢𝐥𝐚 𝐊𝐄𝐈𝐓𝐀, 𝐉𝐨𝐮𝐫𝐧𝐚𝐥𝐢𝐬𝐭𝐞.
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