A la sortie des élections présidentielles de 2010, la nouvelle constitution (article 159) obligeait l’exécutif et la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) à tout mettre en œuvre pour organiser les élections législatives dans les six (6) mois à venir, pour parachever la mise en place des institutions républicaines, afin de sortir définitivement de la période de transition amorcée suite au décès du feu General Lansana Conté en 2008.
Mais, il a fallu attendre trois (3) ans, suite à un protocole d’accord signé entre le gouvernement et l’opposition pour queles élections législatives se tiennent le 28 Septembre 2013, après plusieurs manifestations de rues qui ont causé d’énormes pertes en vies humaines et d’importants dégâts matériels.
La mise en place d’une nouvelle Assemblée Nationale le 13 Janvier 2014, « allait transporter le débat de la rue vers l’hémicycle », selon les dires de certains politiques et observateurs. Chose qui a suscité beaucoup d’espoir auprès des populations qui ont déjà payé des lourdes tribus de cette instabilité politique que connait le pays depuis plusieurs années.
Après cinq (5) années de législature, il y a lieu de se poser la question de savoir si l’Assemblée Nationale guinéenne a su répondre aux attentes des populations ?
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Pour répondre à cette question, il nous parait tout d’abord opportun de rappeler la procédure de mise en place de l’Assemblée Nationale en Guinée, de son mécanisme de fonctionnement et de sa mission.
En effet, les articles 2 et 3 de la Constitution du 7 Mai 2010, stipulent que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce à travers ses représentants (députés). Ils sont élus au suffrage universel, direct, égal et secret, afin de garantir l’effectivité du principe de la séparation des pouvoirs (Législatif –exécutif et Judiciaire).
Elle (constitution) précise que seuls les partis politiques présentent des candidats aux élections nationales (Présidentielles et Législatives).
L’analyse de ces dispositions fait ressortir la mission du député qui, même s’il est présenté par un parti politique, il doit défendre tout d’abord les intérêts du peuple qu’il représente. Cependant, une contradiction évidente se dégage entre les deux (2) articles, car le derniers exclut toute possibilité de candidature indépendante aux élections législatives, ce qui remet en cause la défense des intérêts du peuple, par ce que les partis politiques ne défendent pas forcement les intérêts du peuple comme c’est le cas d’ailleurs en Guinée. C’est pourquoi, il est important de revoir cet article afin de permettre à tout citoyen d’apporter ses compétences à l’Assemblée Nationale pour que celle-ci puisse mieux jouer son rôle, en autorisant la candidature indépendante aux élections nationales.
De l’article 59 à l’article 69, il est fait mention de la procédurede mise en place de l’Assemblée Nationale et de son mécanisme de fonctionnement. Ils précisent qu’il y a deux (2) types de députés (uninominal et national), tout en rappelant que celle-ci se réunit deux (2) fois dans l’année lors de la session des lois (Avril) et la session budgétaire (Octobre), sans oublier la durée du mandat des députés qui est de cinq (5) ans.
L’article 70 bis, précise que tout mandat impératif est nul, ce qui veut dire qu’aucun député n’est tenu de se soumettre aux desideratas de son parti politique ou d’une autorité quelconque. Donc, il est indépendant et ne doit défendre que les intérêts de ceux qu’il représente dans l’exercice de sa mission.
Chargée de voter les lois et de contrôler l’action gouvernementale en vertu de l’article 72 de la Constitution. ‘’ L’assemblée Nationale devrait être un véritable rempart dans le maintien de l’équilibre démocratique et la transparence dans la gestion des affaires publiques ‘’, car elle détermine chaque année l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Elle exige un compte rendu du gouvernement à travers la loi de règlement (rapport de gestion des ressources financières affectées au gouvernement). Elle autorise l’Etat à prélever des taxes sur les populations en votant le nouveau projet de loi de finances, sur la base du rapport de la Cour des Comptes adressé à l’Assemblée Nationale (article 73 bis).
Le gouvernement est obligé de fournir à l’Assemblée Nationale toutes explications qui lui sera demandé sur sa gestion et sur ses activités. Les moyens de contrôle de celle-ci sur le gouvernement sont les questions (orales ou écrites) que les députés posent aux ministres lors de la présentation du budget. Il y a aussi les commissions d’enquêtes parlementaires qu’elle institue en son sein pour apporter la lumière sur diverses questions liées à la gouvernance des affaires publiques (article 89 bis).
Enfin, l’article 92 bis, précise que si le désaccord est persistant entre le président de la République et l’Assemblée Nationale sur des questions fondamentales, ce dernier peut, après avoir consulté le président de l’Assemblée Nationale prononcé la dissolution de celle-ci. Cette dissolution ne peut intervenir qu’après trois ans (3) de législature et ne peut intervenir plusd’une fois lors d’un même mandat présidentiel.
Mais si à l’issue des élections législatives organisées les soixante (60) jours qui suivent pour la mise en place d’une nouvelle Assemblée Nationale, après la dissolution de l’ancienne, et que la majorité des nouveaux députés est favorable à la position adoptée par les anciens députés, le président de la République doit démissionner (article 92).
L’analyse combinée des dispositions susmentionnées, ressort que l’Assemblée Nationale à un rôle important à jouer dans la vie d’une nation, car elle constitue un véritable contre pouvoir pouvant contraindre l’exécutif à mieux assumer son rôle sous peine d’être sanctionné par divers moyens que la loi établit à cet effet.
Au regard du rôle important que notre Assemblée Nationale est amenée à jouer, fallait-il maintenir les députés à leur poste après l’expiration de leur mandat jusqu’à la mise en place d’une nouvelle Assemblée Nationale ou bien les libérés en laissant le président de la République gouverner par ordonnance ?
A priori, nous tenons à rappeler que nous n’avons aucune prétention de donner une réponse toute faite à cette délicate question qui suscite déjà beaucoup de polémique au sein de l’opinion nationale. Nous nous exercerons à dégager des hypothèses sur la base des lois existantes et des enjeux politiques actuels. Avant de laisser à chaque citoyen guinéen le soin de donner son avis.
Après avoir rappelé les conditions de mise en place de l’actuelle Assemblée Nationale guinéenne, il y à lieu de dresser son bilan au courant de sa législature de 2014 à Janvier 2019. Ayant pour mission essentielle de voter les lois et de contrôler l’action gouvernementale, si elle a voté les nombreux projets de lois et des conventions (dont la plupart minières) que le gouvernement lui a soumis, notre l’Assemblée Nationale a pris peu d’initiative et fait moins de preuve de créativité et cela, malgré les multiples problèmes que connait sa population, en ne faisant presque pas de proposition de lois pour apporter une solution appropriée à ces préoccupations. Alors que le député quelque soit son obédience politique doit être à l’écoute de son peuple et de satisfaire les attentes de ce dernier à travers les lois qu’il propose à ses collègues. Mais hélas, nos députés, au lieu de jouer pleinement leur rôle, ont préféré transformer l’hémicycle en un champ de bataille pour des intérêts partisans ou s’entendre à chaque fois que leurs intérêts convergents pour entériner des accords politiques qui violent les lois de la République. Des nombreux exemples fusent à cet effet, comme le point 2 de l’accord du 12 Aout 2016 qui modifie le Code électoral en confisquant le droit des citoyens d’élire leurs chefs de quartiers et des districts ; la grève des enseignants qui mine le secteur de l’éducation depuis trois (3) ans n’a jamais été la tasse de thé préférée de l’Assemblée Nationale qui, malgré toutes les conséquences que cela a sur l’avenir de plus deux (2) millions d’enfants issues des familles modestes qui n’étudient pas normalement, n’a pipé mot pour interpeller le gouvernement ; sans oublier les élections communales et communautaires organisées depuis près d’un an (4 Février 2018) qui, juste que là ne sont pas achevées, car les élus ne sont pas définitivement installer du fait des tentatives de récupération et de corruption des élus par les partis politiques, là aussi l’Assemblée Nationale n’a rien fait pour restaurer la situation et exiger la sanction des responsables. Bref, l’Assemblée Nationale est restée insensible à toutes ces questions importantes qui ont impacté de façon négative la vie des populations.
S’agissant de la mise en place des commissions d’enquêtesparlementaires, là aussi, elle n’a pu instituer aucune pour mettre la lumière sur des nombreux scandales de corruption qui mine le pays, des détournements des deniers publics par des hauts commis de l’Etat, sans oublier les violation répétées des dispositions de la constitution et des autres lois de la République par le président de la République et ses ministres. Il faut rappeler que les commissions d’enquêtes parlementaires permettent aux députés d’exiger du gouvernement plus d’explication, mais aussi de prendre des mesures pour sanctionner les responsables des violations des lois quelque soit leur poste ou leur position sociale, par l’élaboration des rapports qu’elle rend public et la mise en œuvre de la Haut Cour de Justice prévue par l’article 118 de la Constitution. Hélas, il est regrettable de constater que les députés n’ont pas fournit assez d’effort pour mettre en place ces commissions d’enquêtes parlementaires afin d’aider à améliorer la gouvernance actuelle qui, il faut le dire est décriée par la majorité des guinéens.
Ainsi, à la lumière de ce qui précède, nous laissons la latitude à chaque guinéen de donner son avis sur le maintien ou pas de l’actuelle Assemblée Nationale qui, il faut le rappeler coûte au peuple plus de vingt cinq millions (25 000 000) de Franc Guinéen par mois pour chacun des 113 députés, sans oublier les nombreux privilèges qu’ils se sont battus pour s’offrir durant leur législature et cela, en parfaite entente entre députés de l’opposition et de la mouvance présidentielle.
En reprenant l’argument de la plupart des députés notamment ceux de l’opposition qui n’entendent pas partir avant l’organisation des nouvelles élections législatives, je cite : « si nous quittons l’Assemblée Nationale, le président de la République va gouverner par ordonnance ». Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que la loi n’interdit pas que le président gouverne par ordonnance, mais cela ne devrait pas prendre assez de temps et doit se faire dans le cadre de la mise en œuvre du projet de loi de finances en cas de désaccord entre lui et l’Assemblée Nationale (douzième provisoire), car s’il est amené à prendre des ordonnances dans d’autres secteurs, cela peut s’apparenter à une dictature temporaire qui peut avoir des conséquences graves sur la gestion globale du pays,connaissant la posture unilatéraliste de l’actuel chef de l’Etat qui s’ingère constamment dans les autres pouvoirs et son manque de respect pour les lois.
Mais en pareil circonstance, qui est habilité à proroger le mandat des députés ?
La Cour Constitutionnelle en tant qu’organe régulateur du fonctionnement et des activités du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif et des autres organes de l’Etat (article 93 bis), peut après saisine du président de la République ou de la CENI peut autoriser la prorogation du mandat des députés(article 30 Loi organique relative à la Cour Constitutionnelle). Dans ce cas d’espèce la Cour Constitutionnelle après avoir examiné les motifs (circonstances particulièrement graves)invoqués par la CENI dans sa lettre N° 253/C.E.N/BN du 27 Décembre 2018 que son président lui a adressé pour justifierla non tenu des élections législatives, a rejeté cet argument et a démontré le laxisme de la CENI et la signature des accords politiques qui violent les lois de la République. Mais pour justifier le décret de prorogation que le président de la République (lettre N°340/2018/PRG/SP du 24 décembre) doit prendre pour proroger le mandat des députés, la Cour a interprété l’article 45 de la constitution, qui stipule que le président de la République assure lefonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuitéde l’Etat, par conséquent elle estime que ce dernier peut prendre un décret pour proroger le mandat des députés, malgré la mauvaise foi de la CENI. Elle va plus loin pour invoquer lesdispositions combinées de l’article 125 al. 1 du Code électoral révisé N°0022/2017/AN du 24 Février 2017 et de l’article 2 al. 5 de la loi organique L/2017/030/AN du 04 juillet 2017, portant Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale, qui disposent respectivement : « Le mandat des Députés à l’Assemblée Nationale expire à l’ouverture de la première session ordinaire qui suit la cinquième année de leurs élections », « Le mandat des Députés de l’Assemblée Nationale expire à l’installation de la nouvelle Assemblée élue », donc estime que les députés doivent rester en poste jusqu’à l’arrivée des nouveaux.
Cependant, sans vouloir commenter l’arrêt de la Cour Constitutionnelle, il est regrettable de constater que le décretde prorogation n’indique aucune date limite au nouveau mandat des députés, ce qui est curieux car celle ouvre un couloir a une législature a vie, mieux le président est complètement dédouané de toute responsabilité dans la non tenu des élections législatives, alors que c’est lui qui doit mettre à la disposition de la CENI les moyens (techniques et financiers). Ainsi, connaissant les implications politiques d’une telle prorogation, l’on est en droit de s’inquiéter. Reste à savoir quel moyen la Cour Constitutionnelle a pour contraindre la CENI à organiser les élections législatives dans les brefs délais ?
En définitive, il faut retenir que le député est un représentant du peuple qui a pour vocation de défendre les intérêts de celui-ci à travers les lois qu’il vote et le contrôle de l’action gouvernementale. Mais, il est regrettable de constater que ceux de la législature actuelle n’ont pas déployé assez d’efforts pour jouer pleinement ce rôle, alors qu’ils ont bénéficié de tous les avantages matériels et financiers leur permettant de mieux assumer leur rôle. C’est pourquoi, l’on est en droit de se demander, face à l’incertitude qui plane sur l’organisation d’une nouvelle élection législative, est ce qu’il fallait les maintenir ou bien les renvoyer pour laisser le président de la République gouverner par ordonnance jusqu’à la mise en place d’une nouvelle Assemblée Nationale ?
D’ailleurs, c’est le lieu de dénoncer la mauvaise foi de laCENI qui refuse toujours d’organiser les élections à bonne date et la complicité du président de la République qui retarde la mise à disposition des ressources (financières et matérielles) pour permettre à cette dernière de respecter son calendrier électoral, mais aussi de l’Assemblée Nationale qui est d’ailleurs la principale bénéficiaire de ce statu quo, alors qu’elle pouvait anticiper sur cette situation en interpellant la CENI et le président de la République à tenir les élections dans les délais.
Ne pas organiser les élections législatives au plus vite, aura pour conséquences immédiate la prorogation du mandat du président de la République qui arrive à échéance en 2020, car il pourra conditionner la tenue des élections présidentielles par l’organisation des élections législatives d’abord.
Face à une telle situation, seuls les citoyens doivent prendre leur responsabilité pour contraindre les politiques à respecter les lois de la République et à mettre en avant les intérêts du peuple avant leurs intérêts personnels, en exigeant l’organisation des nouvelles élections législatives avant le mois d’Avril 2019 et le non payement des salaires des députés, surtout que le président de la République vient de proroger le mandat des députés pour une date incertaine, tout en sachant que la nouvelle Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) n’est pas encore installée pour proposer un nouveau calendrier électoral.
Par : Saikou Yaya DIALLO (Juriste/Politologue et consultant en Droit de l’homme) pour oceanguinee.com