En marge d’une conférence de presse ce mercredi 13 novembre à Conakry, l’ONG Amnesty International a publié un nouveau rapport de soumission, à l’examen périodique universel de la Guinée à l’ONU.
Intitulé ‘‘Guinée, les voyants au rouge à l’approche de l’élection présidentielle de 2020”, ce rapport fait état de la situation des droits humains en Guinée qui a connu une dégradation considérable entre janvier 2015 et octobre 2019.
Dans ce document de 28 pages, Amnesty International dénonce de nombreuses exactions, arrestations arbitraires, l’impunité, la dégradation des conditions de détention.
L’ONG interpelle également les autorités guinéennes qui doivent remédier aux violations des droits humains qui se multiplient, notamment les homicides de manifestants, les interdictions de rassemblements pacifiques et la répression des voix dissidentes, qui risquent de s’aggraver à l’approche de l’élection présidentielle de 2020.
« Neuf manifestants ont été tués le mois dernier lors des manifestations contre une éventuelle révision de la Constitution. Les leaders des mouvements pro-démocratie et de nombreux manifestants ont été arrêtés. C’est un affront pour les droits humains et une tentative violente visant à museler la dissidence. Lesautorités guinéennes doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour apaiser les tensions, protéger les droits humains et sauver des vies avant, pendant et après les prochaines élections. Nous demandons au gouvernement du président Alpha Condé de mettre fin au règne de la peur et de la répression en modifiant la législation relative à l’usage de la force lors de rassemblements publics et en retirant les forces armées militaires des zones de manifestation», a déclaré Marie-Evelyne Petrus Barry, directrice pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
Tueries survenues entre janvier 2015 et octobre 2019
Amnesty International a constaté que 70 manifestants et passants ont été tués dans le cadre de manifestations entre janvier 2015 et octobre 2019. Si l’organisation n’a pas pu confirmer les circonstances de tous les décès, les témoignages du personnel médical et de témoins ainsi que le type de munitions utilisées indiquent qu’au moins 59 des victimes semblent avoir été tuées par la police et la gendarmerie. Parmi les victimes, un enfant de sept ans qui, selon des sources médicales, a été touché par une balle perdue en octobre 2015.
Plus loin, Amnesty International déplore l’homicide d’Amadou BoukariouBaldé, un étudiant battu à mort par des gendarmes déployés pour disperser une manifestation à l’Université de Labé, dans le centre de la Guinée, le 31 mai 2019.Des centaines de personnes, dont des enfants de seulement quatre ans ont été blessées par les forces de sécurité qui ont fait usage de balles réelles, de matraques et de gaz lacrymogènes, révèle le rapport.
L’une des victimes est Mamadou Hady Barry, 10 ans, touché dans le dos par une balle alors qu’il rentrait chez lui depuis l’école coranique à Conakry, le 13 novembre 2018. Grièvement blessé, il a été pendant plusieurs mois incapable de marcher.
Répression contre les défenseurs des droits humains
Ces dernières années, le gouvernement a interdit de manière arbitraire de nombreuses manifestations. Les défenseurs des droits humains et les journalistes sont convoqués, détenus ou arrêtés par la police, uniquement parce qu’ils exercent leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Au moins 60 membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un groupe pro-démocratie ont été arrêtés depuis le 12 octobre 2019. Un tribunal a condamné cinq de leurs dirigeants à des peines allant jusqu’à un an de prison pour avoir appelé à manifester pacifiquement. Des dizaines de participants ont été condamnés à un an de prison pour avoir assisté à un « rassemblement illégal ».
Atteintes aux journalistes
Le rapport dévoile que les journalistes sont pris pour cibles ou agressés par des membres des forces de sécurité, et que des médias sont suspendus.
À titre d’exemple, Aboubacar Algassimou Diallo, présentateur radio à Lynx FM, et Souleymane Diallo, administrateur général, ont été convoqués par la police les 19 et 20 août derniers, après avoir diffusé l’interview d’une femme qui accusait le ministre de la Défense de détournement des fonds destinés aux Casques bleus guinéens.
Des conditions carcérales déplorables
Amnesty International a constaté une surpopulation carcérale généralisée dans les établissements pénitentiaires guinéens. À la prison centrale de Conakry, qui a la capacité d’accueillir 500 prisonniers, 1 468 personnes sont détenues. Au moins 109 personnes sont mortes en détention pendant la période que couvre le rapport.
Ce document recense également des cas de torture et de mauvais traitements, particulièrement en garde à vue – passages à tabac, viols, recours à des positions douloureuses, brûlures et privation de sommeil notamment.
La recrudescence de l’impunité
L’impunité continue de régner en Guinée. Les familles de personnes tuées lors des manifestations ont déposé des dizaines de plaintes, parfois en fournissant des informations précises sur les unités des forces de sécurité déployées, notamment des noms et des plaques d’immatriculation.
Pourtant, un seul cas a donné lieu à des poursuites judiciaires. En février 2019, un capitaine de police a été condamné pour l’homicide en 2016 d’un passant lors de manifestations, et ce pour la première fois depuis qu’un membre des forces de sécurité avait été déféré à la justice en 2010.
Les poursuites judiciaires concernant l’homicide de plus de 150 manifestants pacifiques et les viols et violences sexuelles infligés à plus de 100 femmes dans le stade de Conakry en 2009, ne progressent guère.
« Afin de briser le cycle de la violence en Guinée à l’approche de l’élection présidentielle de 2020, les autorités doivent faire savoir avec force que les violations des droits humains ne seront pas tolérées Enfin, elles doivent cesser de museler les voix dissidentes », a renchéri Marie-Evelyne Petrus Barry.
Thierno Amadou Oury BALDE