Bola Tinubu, 70 ans, a été déclaré hier vainqueur de l’élection la plus compétitive du Nigeria depuis la fin du régime militaire en 1999.
Largement reconnu pour avoir remodelé le centre commercial nigérian de Lagos, M. Tinubu a éliminé un parti d’opposition divisé et un candidat tiers soutenu par la jeunesse. Faisat donc de lui, le remplaçant officiel du président Muhammadu Buhari en mai prochain, à moins que les allégations de manipulation de l’opposition ne conduisent à des nouvelles éléctions.
Autrefois contraint à l’exil par le dirigeant militaire Sani Abacha, M. Tinubu connaît la valeur de la liberté et la porte comme un insigne sur son chapeau caractéristique – une manille brisée qui ressemble à un chiffre huit horizontal.
Comptable de formation, ce sont les activités du groupe pro-démocratique National Democratic Coalition (Nadeco), dont il était membre, qui l’ont mis dans le collimateur d’Abacha.
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A 70 ans, celui que l’on surnomme « le parrain », le « faiseur de roi » ou encore « le boss » pour son influence considérable, a été élu dès le premier tour à la tête du pays le plus peuplé d’Afrique, avec une confortable avance de près de deux millions de voix sur les autres candidats, selon les résultats de la Commission électorale (Inec).
« Je suis profondément honoré que vous m’ayez élu pour servir notre pays bien-aimé », a-t-il lancé à ses partisans rassemblés en pleine nuit à son siège de campagne d’Abuja, saluant une « victoire de la démocratie« .
Avec sa victoire, ce musulman multimillionnaire, ardent défenseur de la démocratie en exil pendant la dictature militaire des années 1990, a désormais gravi tous les échelons politiques. Une ascension rythmée par maintes accusations de corruption, sans qu’il ne soit jamais condamné.
Si M. Tinubu était donné favori il y a encore quelques mois, ces dernières semaines avaient rebattu les cartes, notamment en raison de gigantesques pénuries d’essence et de billets, qui ont alimenté le ressentiment contre le parti au pouvoir.
Les experts ont décrit cette présidentielle comme la moins prévisible depuis le retour de la démocratie au Nigeria en 1999. Surtout grâce à l’émergence d’un candidat surprise, Peter Obi, favori de la jeunesse urbaine, arrivé troisième derrière l’ancien vice-président Atiku Abubakar de l’opposition (PDP).
Bastion perdu –
Dans un pays où l’état de santé des dirigeants est un sujet très sensible, sa condition inquiète. M. Tinubu est apparu fragile à la télévision, souffrant à plusieurs reprises de tremblements en public.
L’intéressé réfute en diffusant des vidéos de lui moulinant sur un vélo d’appartement ou en train de danser, visiblement hilare.
Une communication qui ne suffit pas à rassurer les Nigérians, marqués par les nombreux voyages à l’étranger du président sortant Muhammadu Buhari pour soigner une maladie secrète. Une bonne partie croit d’ailleurs que M. Tinubu a bien plus que 70 ans.
Le politicien à l’éternel chapeau traditionnel yorouba a gouverné durant huit ans (1999-2007) Lagos, le poumon économique du Nigeria. Ancien homme de l’ombre à la silhouette frêle, il y a conservé une influence considérable.
Et pourtant, surprise de ce scrutin présidentiel: Peter Obi lui a ravi – de justesse – son fief lagosien, signe que Bola Tinubu n’y est pas aussi populaire qu’il le clame.
Reste que le clientélisme demeure omniprésent au Nigeria. Fin stratège, M. Tinubu a toujours été perçu comme l’homme derrière toutes les nominations politiques dans sa région natale (sud-ouest) et bien au-delà.
Pour beaucoup, son influence avait d’ailleurs propulsé Muhammadu Buhari à la tête de l’Etat en 2015 et lui a permis de se faire réélire en 2019. D’où son surnom: le « faiseur de roi ».
Couronné à son tour, M. Tinubu succèdera à l’ancien général de l’armée avec la lourde tâche de remettre le pays sur les rails après deux mandats marqués par l’explosion de la pauvreté et de l’insécurité.
Le « parrain » a assuré que ses priorités seraient la sécurité et la reprise économique, avec notamment la fin des subventions du carburant, sujet très sensible au Nigeria.
– « A court d’idées » –
Il met pour cela en avant ses succès à Lagos, s’attribuant la transformation spectaculaire de la mégalopole de 20 millions d’habitants durant ses deux mandats, marqués par l’afflux de capitaux étrangers.
Mais M. Tinubu souffre encore de son image d’homme « appartenant à une vieille classe politique à court d’idées, présent depuis trop longtemps sur la scène politique, ce qui est vu comme une faute », explique Udo Jude Ilo, de l’Open Society Initiative for West Africa (Osiwa).
Surtout après la répression sanglante d’un mouvement contre les violences policières en octobre 2020 qui a révélé le fossé entre une jeunesse en quête de représentation et une élite septuagénaire réputée corrompue.
La fortune du « Boss » – dont la source et le montant exact sont inconnus – fait aussi beaucoup parler: il est considéré comme l’un des hommes les plus riches du pays, ayant des parts dans de nombreuses entreprises, des médias à l’aviation, en passant par l’hôtellerie et l’immobilier.
Beaucoup l’ont accusé de corruption et de blanchiment d’argent, notamment lorsque la justice américaine l’a cité en lien avec un vaste trafic d’héroïne dans les années 1990 aux Etats-Unis, ce qu’il a toujours nié.
Répété à tout-va, son slogan de campagne, « Emi Lokan. C’est mon tour », ne l’a pas aidé à se défaire de sa réputation d’homme assoiffé par le pouvoir.
Et quand M. Tinubu s’adressait à la jeunesse, il lançait: « Vous aussi vous vieillirez, vous deviendrez président, mais je serai président d’abord. »