« Never trust the military » (ne fais jamais confiance à l’armée), martelait à plusieurs reprises le milliardaire anglo-soudanais Mo Ibrahim au cours d’une conversation qu’il eut avec Abdalla Hamdok, ancien Premier ministre soudanais, au sujet de la tragédie qui se déroulait dans son pays, dans le cadre du Ibrahim Governance Week-end (IGW), qui s’est tenu du 28 au 30 avril 2023 à Nairobi.
Cette assertion résonne terriblement en écho avec le profond désenchantement des Guinéens en raison du contraste saisissant entre la profession de foi du 05 septembre 2021 de Mamadi Doumbouya et les mesures liberticides que multiplie actuellement la junte militaire si bien que l’on se demanderait si elle n’est pas animée par des pulsions suicidaires.
S’il est un constat qui fait aujourd’hui l’unanimité auprès de nos compatriotes, c’est que le remède s’est révélé pire que le mal qu’il entendait combattre. L’ivresse du pouvoir et l’arrogance démesurée qui y est associée, font oublier à la junte qu’elle est arrivée au pouvoir à la faveur d’un coup d’État et que seul le peuple de Guinée demeure le dépositaire de la légitimité qui a provisoirement bénéficié au CNRD au lendemain du coup d’État.
En effet, c’est de l’engagement de faire de la justice la boussole de la transition que le régime militaire instauré par le CNRD tirait pour l’essentiel les fondements de l’autorité légitime que la population guinéenne a bien voulu lui accordée.
Du moment que le CNRD a trahi cet engagement phare consigné dans le discours de légitimation du coup de force du 5 septembre 2021, lequel engagement faisait office de contrat moral entre la junte et le peuple de Guinée, il s’est dès lors résolu à rompre unilatéralement ce contrat. Cette rupture justifie automatiquement la perte du soutien dont il bénéficiait et l’arrêt de l’adhésion des Guinéens au projet politique de refondation proposé par le CNRD.
La junte au pouvoir ne peut, par conséquent, se prévaloir d’une quelconque légitimité quand elle tue ses propres citoyens et qu’elle viole délibérément le cadre juridique qu’elle a elle-même défini, duquel sont nés des engagements vis-à-vis de la communauté nationale et internationale.
La liste des erreurs du passé reproduites par le CNRD ne cesse de se rallonger lui permettant ainsi de surpasser de loin ses prédécesseurs et d’afficher au compteur un bien sinistre palmarès à faire pâlir d’envie tout apprenti dictateur. Le Guinéen vit désormais sous le joug des interdictions : il est interdit de manifester, de se réunir, de circuler librement, d’exprimer librement ses opinions, d’accéder librement à l’information, sans craindre pour son intégrité physique et morale.
Comment expliquer que des militants pro-démocratie soient arbitrairement arrêtés et détenus en raison uniquement de leur opposition à la gestion unilatérale de la transition par ces autorités provisoires du pays ?
Comment admettre que des leaders politiques de premier plan, Cellou Dalein Diallo et Sydia Touré, se soient vus arbitrairement déposséder de leurs biens ? Alors même que pour le premier, le dossier était pendant devant la justice, la destruction de son domicile a été ordonnée par la junte militaire.
En outre, le refus cynique opposé à Fonikè Menguè de se recueillir sur la tombe de sa défunte mère n’est pas sans rappeler la mise en scène larmoyante des premiers responsables du CNRD au cimetière de Bambéto, dont la démarche était censée entériner le « plus jamais ça » dans notre pays.
La ligne rouge a été franchie avec les violations graves et systématiques des droits de l’homme tels que les assassinats ciblés de manifestants pacifiques par des forces de défense et de sécurité chargées de l’exécution de la « stratégie de terreur » peaufinée au plus haut sommet de l’État.
La dictature n’épargnant personne, l’on assiste désormais, non sans stupeur, au brouillage des fréquences des radios catégorisées comme non acquises à la cause du CNRD, à la censure des principaux médias en ligne, à des restrictions volontaires bridant l’accès aux réseaux sociaux.
Les orientations prises par la junte démontrent ainsi clairement que c’est plutôt l’injustice, sous toutes ses formes, qui a servi et continue de servir de boussole à la transition que nous vivons.
Dans un contexte de mobilisation sans précédent de l’arsenal répressif telle qu’illustrée par la réquisition illégale de l’armée face à des civils désarmés, l’on assiste à une lutte menée courageusement par les Forces Vives de Guinée (FVG) pour le retour diligent à l’ordre constitutionnel, vocation principale de toute transition.
Il est regrettable que cette lutte pacifique et citoyenne soit menée sous le regard indifférent de la communauté internationale pour qui les intérêts économiques et stratégiques semblent peser plus lourd que les préoccupations liées à la démocratie, à l’État de droit et aux libertés fondamentales.
C’est une lapalissade que d’affirmer qu’il nous faut compter sur nos propres forces pour détourner le train CNRD de sa folle trajectoire : celle de la « birmanisation » du pays.
À ce manque de légitimité, vient donc se greffer un manque de légalité qui justifierait que le peuple de Guinée demande la dissolution du CNRD comme pour lui rappeler les nombreux manquements à ses engagements.
Au premier rang de ces engagements, le parjure de Mamadi Doumbouya qui a prêté serment comme Président de la transition en jurant notamment de « consolider les acquis démocratiques » tout en s’engageant au respect par la Guinée de ses «engagements nationaux et internationaux », les menaces à la liberté de presse agitées par Ousmane Gaoual Diallo dont la présence au gouvernement constitue l’un des plus grands déshonneurs jamais infligés à la Guinée tant l’inélégance et l’insolence dont il fait preuve contrastent avec l’attitude et la bienséance attendues d’un ministre de la République, last but not least, la dissolution du FNDC prononcée par le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation (MATD), Mory Condé, dont l’étendue vertigineuse de la vacuité et de la malhonnêteté intellectuelles passera à la postérité.
Face à la tyrannie du CNRD, je lance un appel pressant aux intellectuels du pays ainsi qu’à tous les citoyens guinéens épris de justice et de liberté à prendre leurs responsabilités devant l’histoire : nous ne pouvons plus nous permettre d’autres déceptions, d’autres désillusions, d’autres rendez-vous manqués.
Nous n’avons plus de temps à perdre avec de tels régimes au moment où l’autocratie a tué tout espoir de rêve pour notre jeunesse. Nous devons nous battre de toutes nos forces, par tous les moyens légaux, et en toute responsabilité, afin de rompre ce cycle infernal d’innombrables souffrances que traverse notre pays et créer les conditions idoines pour qu’y adviennent le développement et le bien-être tant attendus par nos populations.
Par Nadia Nahman Barry
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