Il y a des jours où l’on se demande si certaines déclarations relèvent de la provocation gratuite ou d’un malentendu profond avec les fondamentaux de la science politique. Et puis on lit les propos d’Abdoulaye Bah, pontifiant avec aplomb : « 𝐈𝐥 𝐟𝐚𝐮𝐭 é𝐯𝐢𝐭𝐞𝐫 𝐥𝐚 𝐠𝐞𝐬𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐚𝐫𝐛𝐢𝐭𝐫𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐝𝐞𝐬 é𝐥𝐞𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐩𝐚𝐫 𝐥’É𝐭𝐚𝐭. »
Ah bon ? Depuis quand l’organisation des élections par l’État est-elle un acte arbitraire ? À moins bien sûr d’avoir été diplômé en politologie sur WhatsApp Université, section complotisme appliqué.
Qu’on se le dise : 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐥𝐚 𝐪𝐮𝐚𝐬𝐢-𝐭𝐨𝐭𝐚𝐥𝐢𝐭é 𝐝𝐞𝐬 𝐝é𝐦𝐨𝐜𝐫𝐚𝐭𝐢𝐞𝐬 𝐦𝐚𝐭𝐮𝐫𝐞𝐬, 𝐜’𝐞𝐬𝐭 𝐛𝐞𝐥 𝐞𝐭 𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐥’É𝐭𝐚𝐭, 𝐚𝐯𝐞𝐜 𝐬𝐞𝐬 𝐢𝐧𝐬𝐭𝐢𝐭𝐮𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐫é𝐩𝐮𝐛𝐥𝐢𝐜𝐚𝐢𝐧𝐞𝐬, 𝐪𝐮𝐢 𝐨𝐫𝐠𝐚𝐧𝐢𝐬𝐞 𝐥𝐞𝐬 É𝐥𝐞𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬. Des États-Unis à la France, de l’Inde à l’Allemagne, ce sont des ministères de l’intérieur ou des commissions électorales nationales 𝐫𝐚𝐭𝐭𝐚𝐜𝐡é𝐞𝐬 à 𝐥’É𝐭𝐚𝐭 qui encadrent le processus électoral. Et pourtant, personne ne crie à l’arbitraire chaque samedi matin.
La vérité, c’est que 𝐥𝐚 𝐂𝐄𝐍𝐈 𝐞𝐬𝐭 𝐮𝐧𝐞 𝐜𝐫é𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐚𝐟𝐫𝐢𝐜𝐚𝐢𝐧𝐞 𝐬𝐮𝐢 𝐠𝐞𝐧𝐞𝐫𝐢𝐬, tolérée à la faveur du fameux Sommet de la Baule, dans un contexte où les coups de ciseaux constitutionnels et les bourrages d’urnes étaient presque des disciplines olympiques. Elle fut une réponse circonstancielle, non un modèle universel. D’ailleurs, même là où elle subsiste, elle n’a jamais été une panacée. Bien souvent, elle a remplacé le soupçon par le chaos, en offrant un théâtre supplémentaire aux tiraillements partisans.
Et là où cela devient à la fois hilarant et inquiétant, c’est que mon grand frère Abdoulaye Bah, qui a fait de beaux jours dans une Belgique à monarchie constitutionnelle, pays où l’État organise sans bavure les élections, semble aujourd’hui découvrir qu’il existe un lien entre autorité publique et régularité électorale. 𝐅𝐚𝐮𝐭-𝐢𝐥 𝐲 𝐯𝐨𝐢𝐫 𝐥𝐞𝐬 𝐞𝐟𝐟𝐞𝐭𝐬 𝐬𝐞𝐜𝐨𝐧𝐝𝐚𝐢𝐫𝐞𝐬 𝐝’𝐮𝐧𝐞 𝐞𝐱𝐭𝐚𝐬𝐞 𝐝𝐞𝐯𝐚𝐧𝐭 𝐥𝐚 𝐟𝐨𝐮𝐥𝐞 𝐝𝐞 𝐥’𝐚𝐬𝐬𝐞𝐦𝐛𝐥é𝐞 𝐠é𝐧é𝐫𝐚𝐥𝐞 𝐝𝐞 𝐥’𝐔𝐅𝐃𝐆 𝐝𝐞 𝐜𝐞 21 𝐣𝐮𝐢𝐧 ? Le micro, parfois, a des vertus aphrodisiaques sur l’élocution… et des effets collatéraux sur le discernement.
Alors, Monsieur Bah, parlez-nous franchement : 𝐪𝐮𝐞 𝐯𝐨𝐮𝐥𝐞𝐳-𝐯𝐨𝐮𝐬 𝐝𝐢𝐫𝐞 𝐩𝐚𝐫 “𝐠𝐞𝐬𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐚𝐫𝐛𝐢𝐭𝐫𝐚𝐢𝐫𝐞” 𝐝𝐞𝐬 é𝐥𝐞𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐩𝐚𝐫 𝐥’É𝐭𝐚𝐭 ? Est-ce l’administration électorale qui vous dérange ou bien l’idée que l’État puisse fonctionner sans que votre camp ne tienne le stylo rouge de la suspicion ?
Il faut avoir la modestie de ses lacunes. Se présenter en politologue alors qu’on confond structure de gouvernance et fantasme d’oppression est une forme de comédie qu’aucun amphithéâtre ne saurait pardonner. Les mots ont un sens, et les postures, des conséquences.
À trop vouloir délégitimer ce que les grandes nations ont de plus banal, la gestion publique des élections, on finit par se ridiculiser en attaquant un principe fondamental de l’État moderne.
Et à ceux qui confondent impartialité avec exclusion de l’État, rappelons cette vérité élémentaire : 𝐜𝐞 𝐧’𝐞𝐬𝐭 𝐩𝐚𝐬 𝐥’É𝐭𝐚𝐭 𝐞𝐧 𝐬𝐨𝐢 𝐪𝐮𝐢 𝐭𝐫𝐢𝐜𝐡𝐞, 𝐜𝐞 𝐬𝐨𝐧𝐭 𝐥𝐞𝐬 𝐡𝐨𝐦𝐦𝐞𝐬 𝐪𝐮𝐢 𝐥𝐞 𝐩𝐞𝐫𝐯𝐞𝐫𝐭𝐢𝐬𝐬𝐞𝐧𝐭. Et pour corriger cela, il faut plus de rigueur, pas plus de folklore institutionnel.
𝐉𝐨𝐚𝐜𝐡𝐢𝐦 𝐁𝐚𝐛𝐚 𝐌𝐈𝐋𝐋𝐈𝐌𝐎𝐔𝐍𝐎
𝐏𝐎𝐋𝐈𝐓𝐎𝐋𝐎𝐆𝐔𝐄
𝐌𝐨𝐮𝐯𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐑é𝐟𝐨𝐫𝐦𝐚𝐭𝐞𝐮𝐫𝐬 𝐝𝐞 𝐥’𝐔𝐅𝐃𝐆