C’est clair, Ankara et Paris jouent échec et mat sur le double terrain spongieux de la Syrie et de la Libye. Pendant que destroyers et frégates, museaus au vent, patrouillent sur la Méditerranée, les mots volent très bas entre Emmanuel Macron et Recep Erdogan, l’héritier de Nicolas Sarkozy et le non moins dépositaire du tentaculaire empire Ottoman qui embrasait autrefois le Danube, la Mer rouge, le désert des tartares et la Méditerranée. Les deux leaders s’accusent de “responsabilité historique et criminelle” sur la Libye en tentant de s’attirer, chacun, le soutien des pays arabes libérés de cinq siècles de joug Ottoman au lendemain de la première Guerre Mondiale. Pendant ce temps, l’Amérique de Donald Trump, puissance tutélaire de l’Otan mais repliée sur elle même au nom du slogan “America First”, regarde ailleurs et Bruxelles, la reine sans armée, joue la neutralité positive en refusant de prendre position.
Excédée par ses alliés qui lui rappellent en douce, à chaque fois que d’occasion, l’expédition malheureuse de 2011 en Libye sur la base des prédictions philosophiques d’un Bernard-Henri Levy droit-de-l’hommiste adepte du droit à l’ingérence et d’une résolution onusienne d’exclusion aérienne transformée en déboulonnage du régime Kadhafi, la France a annoncé mercredi 1er juillet son retrait temporaire de l’opération de surveillance de l’OTAN en Méditerranée. Le «Sea Guardian» qu’elle appuyait avec un avion de patrouille maritime et une frégate se fera sans elle. Avec cette décision transmise mardi 30 juin par l’ambassadrice française au secrétaire général de l’Otan à Bruxelles, Paris entend « mettre un coup de projecteur sur l’ambiguïté fondamentale d’une opération antitrafics dans laquelle il y a des trafiquants », en l’occurrence les Turcs, a précisé le ministère des armées.
Va-t-on vers un premier affrontement militaire entre deux alliés de l’Otan ? C’est ce qui laisse présager les déplacements des lignes de force entre les troupes du gouvernement du d’union nationale de Faïez Sarraj, reconnu par l’ONU, soutenu notamment par la Turquie (qui dit appuyer la légalité internationale) et celles du maréchal Halifa Haftar soutenu par les Emirats-Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, la France et les Etats-Unis. Sur le terrain, le maréchal perd du terrain. Oeil de Moscou, oreille de Langley, comme nous l’écrivions en 2017, celui qui est intronisé “Roi du pétrole” depuis une offensive victorieuse en 2015 n’est plus que l’ombre de lui même, affaibli par la maladie comme Napoléon, son modèle, lors de la débâcle de Waterloo.