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Le choix de l’indépendance Guinéenne : L’indépendance et les premiers défis

Le 28 septembre 1958, 98 % de la population de la Guinée vote non au référendum. Le « oui » par contre est majoritaire dans tous les autres pays africains, y compris au Niger où la situation était plus incertaine. Le chef du gouvernement nigérien, Djibo Bakari, avait en effet invité à voter pour l’indépendance immédiate mais le PRA, le parti de Bakari, ne contrôlait pas le territoire comme le PDG pouvait le faire en Guinée ; l’administration coloniale vint par ailleurs au secours du parti local affilié au RDA qui était pour le « oui ». Quant au Sénégal, où la situation risquait d’être difficile, les responsables (africains) du gouvernement prirent position en faveur de la constitution et pouvaient compter sur le soutien de marabouts et des anciens combattants pour surmonter l’influence des partis indépendantistes [16].

La Guinée est ainsi le seul pays membre de l’Union française où le « non » l’emporte au référendum. Si d’autres territoires étaient partagés sur la question (comme le Sénégal ou le Niger), il n’y avait nulle part ailleurs un parti de masse orienté majoritairement vers le « non » – ou si c’était le cas, les responsables gouvernementaux devaient tenir compte de l’influence d’autres forces politiques ou sociales plus conservatrices.

Face au résultat du vote la réponse française ne se fait pas attendre : le 29 septembre, le gouverneur français informe Sékou Touré qu’à partir du 30, Paris mettra fin à toutes les aides jusqu’alors consenties et retirera son personnel technique, y compris les forces armées. Toutefois, du point de vue monétaire, la Guinée continuera à faire partie de la zone franc, l’ensemble monétaire franco-africain.

Quatre jours après le référendum, l’Assemblée législative de la Guinée proclame l’indépendance du pays. Le nouvel État obtient la reconnaissance immédiate de l’Union soviétique, de l’Égypte et du Ghana, bientôt suivis par les pays communistes et les États arabes. De son côté, la France décide de conditionner la reconnaissance de jure de la Guinée au règlement des questions pendantes et demande à ses alliés occidentaux d’attendre une initiative française avant de procéder à la reconnaissance.

La demande de Sékou Touré d’instaurer une association aux termes de l’article 88 de la Constitution reste sans réponse. Paris donne la priorité à la mise en place des structures de la Communauté. Le gouvernement français veut montrer la différence entre les pays membres de la Communauté et ceux qui ont refusé d’en faire partie. « Du reste, c’est ce qu’attendaient plusieurs dirigeants de la Communauté. Houphouët-Boigny déclarait ainsi, le 15 octobre, à l’hebdomadaire Carrefour : « Si la France donnait une préférence à ceux qui ont fait sécession contre ceux qui ont choisi la Communauté, alors la sécession guinéenne fera tache d’huile » [17].

Compte tenu de la situation, Sékou Touré est obligé à chercher ailleurs les aides dont il a besoin pour financer le développement de son pays. Sur le continent africain, il trouve un allié en Kwame N’Krumah, le président du Ghana. Le leader ghanéen est alors un des chefs d’État africains les plus prestigieux. Il est aussi un des principaux promoteurs des idées panafricaines [18]. De ce point de vue, N’Krumah et Sékou Touré ont des positions assez proches. Les mauvaises relations qu’ils entretiennent avec la France sont un autre élément commun, Paris soupçonnant N’Krumah de vouloir imposer son influence sur toute l’Afrique occidentale, y compris sur les pays de sa zone de tutelle [19].

N’Krumah a été un des premiers à reconnaître le gouvernement de Sékou Touré. Il croit sincèrement à la nécessité de venir en aide à un État africain nouvellement indépendant, qui a eu le courage de s’affirmer contre la volonté de l’ancienne puissance coloniale. De son côté, Sékou Touré a absolument besoin d’une aide immédiate, pour mettre en place son administration depuis le départ des Français. La proposition de prêt que lui fait N’Krumah tombe à propos : 10 millions de livres ghanéennes qui lui permettraient de passer les premières échéances et de faire échouer les projets français visant à rendre impossible la constitution pratique de son État. En même temps, les deux pays envisagent de mettre sur pied une collaboration approfondie, prélude à une future union. Le 23 novembre 1958, à Accra, Sékou Touré et N’Krumah annoncent la création du « noyau des futurs États-Unis d’Afrique occidentale ». Les implications de cette union ne sont pas claires, mais Paris et Londres suivent avec préoccupation la collaboration entre pays issus de deux systèmes coloniaux différents. Les Français craignent surtout que la Guinée n’abandonne la zone franc pour la zone sterling. Couve de Murville, le ministre des Affaires étrangères, convoque même l’ambassadeur britannique à Paris pour obtenir des assurances sur ce point [20].

La politique étrangère de Sékou Touré

Les nouvelles relations internationales de la Guinée ne se limitent pas au cadre africain. Les accords que Conakry signe avec l’Union soviétique, l’Allemagne de l’Est et la Tchécoslovaquie sont aussi de première importance. Les pays communistes veulent profiter du départ de l’administration française pour gagner la Guinée à leur cause et s’implanter en Afrique occidentale. Pour parvenir à leurs fins, ils ne lésinent pas sur les aides économiques et militaires [21]. Le Kremlin accorde à la Guinée un prêt de 140 millions de roubles [22] et invite Sékou Touré pour une visite d’État en décembre 1959 ; à cette occasion, les dirigeants soviétiques réaffirment leur soutien à tous les pays qui luttent contre l’impérialisme européen ou américain.

Sékou Touré se montre prudent face aux manœuvres du bloc communiste. Il accepte les aides des pays communistes, mais il prend soin de les contrebalancer par des approches en direction du monde occidental. Son voyage à Moscou, par exemple, est précédé d’une visite d’État à Washington et à Londres, et suivi d’une visite à Bonn. À la Maison Blanche, lors de son entretien avec Eisenhower, il demande que les États-Unis développent la coopération économique et commerciale avec son pays [23].

D’autre part, il faut considérer que depuis son admission aux Nations unies, en décembre 1958, la Guinée fait pleinement partie du mouvement des Non-alignés. C’est donc à l’intérieur de ce cadre que se situent ses relations avec l’Est et l’Ouest. De ce point de vue, l’admission de la Guinée à l’Assemblée générale des Nations unies est un grand succès pour ce pays. Elle est votée à l’unanimité le 11 décembre 1958 avec la seule abstention du délégué français. Il faut bien dire qu’il s’agit du premier pays africain francophone à entrer aux Nations unies. À juste titre, Paris craint qu’une telle adhésion ait des conséquences sur les pays membres de la Communauté. Les dirigeants de ces pays pourront difficilement supporter longtemps la comparaison avec Sékou Touré, comme Tsiranana, le chef du gouvernement malgache, l’affirme très clairement à Houphouët-Boigny après avoir assisté à l’accueil triomphal du leader guinéen à l’ONU : « Nos populations ne comprendront pas plus longtemps que nous restions au stade de l’autonomie et que nous ne devenions pas indépendants » [24]. Par ses actions, Sékou Touré provoque une accélération du processus d’indépendance dans les autres États.

Sur le plan international, la position de Sékou Touré se précise au cours de 1959. Il semble d’abord hésiter entre plusieurs directions : un rapprochement avec la France, qui permettrait d’obtenir une aide technique particulièrement appréciée et de garder le contact avec les pays de la Communauté franco-africaine ; adopter une attitude encore plus radicale envers l’ancienne puissance coloniale, ce qui augmenterait son influence auprès des mouvements révolutionnaires ; réaliser concrètement une union avec le Ghana ou, au contraire, renforcer la personnalité internationale de la Guinée.

Tout au long de l’année 1959, Sékou Touré décide d’abandonner la possibilité de régler la situation avec Paris. La décision de la Guinée de reconnaître le Gouvernement provisoire de la République algérienne (août 1959), de voter aux Nations unies contre la France mise en accusation pour la guerre d’Algérie et les expériences atomiques dans le Sahara, et surtout de sortir de la zone franc, bloquent toute possibilité de dialogue avec l’ancienne puissance coloniale. Le 1ermars 1960, lors d’une conférence de presse Sékou Touré annonce la mise en œuvre d’une réforme monétaire. Le même jour la Guinée remplace le franc CFA, la monnaie de la zone franc, par une monnaie nationale qui ne fait plus partie de l’ensemble monétaire franco-africain. Cette opération provoque un grave contentieux entre Paris et Conakry, car elle entraîne la saisie des réserves monétaires gardées dans les caisses de l’agence locale de Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Étant donné l’impossibilité d’individualiser la circulation monétaire par pays, l’opération guinéenne concerne tous les États membres de l’union monétaire.

La décision de créer une monnaie nationale guinéenne revêt une importance particulière : en fait, même après son indépendance, la Guinée était restée membre de la zone franc, un ensemble économique-monétaire basé sur la circulation d’une seule monnaie, le franc CFA, liée par un rapport fixe au franc français, qui garantit sa stabilité de façon illimitée [25]. Depuis 1958 les échanges commerciaux avec Paris ont diminué, mais ils restent importants pour certaines matières premières. Le Fonds de stabilisation des changes (qui garantit la stabilité du franc CFA) a continué à recevoir les devises étrangères qui sont investies en Guinée. Elles représentent un montant non négligeable en raison de l’extraction de la bauxite et de la production d’alumine dans le nord-ouest du pays, à Fria, par un consortium de sociétés américaine, anglaise, suisse, allemande et française [26].

Pour sa part Paris est en train de repenser ses relations avec les pays membres de la Communauté. Désormais la domination française ne s’exprimera plus par voie directe, car l’indépendance des États africains est devenue inévitable, mais elle prendra la forme d’une collaboration politique, économique et militaire [27]. Dans ce contexte, la zone franc constitue un élément fondamental, que le gouvernement français tient à préserver à tout prix. Une zone monétaire solidement liée au franc français empêchera les puissances étrangères d’acquérir une influence prépondérante en Afrique sub-saharienne. Elle permettra de préserver la cohésion de ses anciennes colonies face à l’attraction exercée par les pays anglophones et surtout par le Nigeria [28]. La décision de Sékou Touré d’abandonner la zone franc et de créer une monnaie nationale représente ainsi un dangereux précédent, surtout s’il est couronné de succès. Les autres pays africains pourraient en effet être tentés de suivre la Guinée, malgré les bénéfices qu’ils retirent de la zone franc, et la France pourrait perdre un de ses instruments les plus importants pour maintenir son influence en Afrique sub-saharienne.

Parallèlement au durcissement des relations avec Paris, Sékou Touré renforce la coopération avec N’Krumah. Le 1er mai 1959 les deux leaders annoncent la naissance de l’Union des États indépendants africains. Étant donné les profondes différences et la distance qui sépare les deux pays, une union complète entre Accra et Conakry était impossible, au moins dans le court terme. La coopération change ainsi de nature : il ne s’agit plus d’unifier les deux États, mais de créer un bloc plus ou moins homogène de pays africains, qui puisse s’imposer sur le plan international et peser, à terme, sur la construction de la première organisation politique panafricaine [29].

Pendant cette période, malgré un certain souci d’équilibre international, Sékou Touré semble plus proche du bloc communiste que du bloc occidental. Cela s’explique en grande partie par le retard avec lequel les puissances occidentales ont reconnu le nouveau régime. L’Union soviétique, dont l’intérêt pour le continent africain va grandissant depuis 1956, a profité de l’occasion pour prendre pied en Guinée [30]. Toutefois, la sympathie de Sékou Touré pour Moscou et le communisme n’est pas aussi solide que Paris semble l’estimer. Il s’agit plutôt d’une question d’opportunité : tant que les aides des pays communistes sont utiles et abondantes, Sékou Touré se montre sensible à leur propagande. Quand la coopération technique avec le bloc soviétique se révélera un échec, l’aide des pays occidentaux et des organisations internationales comme la Banque Mondiale gagnera en intérêt.

Deux ans après l’indépendance, Sékou Touré est devenu un acteur incontournable sur le continent africain : ses liens avec N’Krumah sont connus, mais il a aussi rencontré plusieurs fois William Tubman, le président du Liberia, qui cherche à modérer l’attitude progressiste de son voisin. Il s’efforce par ailleurs de valoriser l’action des Nations unies au Congo pour la résolution du conflit qui se déroule dans ce pays. Consulté par le gouvernement américain, il s’engage à jouer un rôle de médiateur entre les parties en cause. Par contre, il tient à rappeler le cas des colonies portugaises, dont l’indépendance n’est pas envisagée, et le régime d’apartheid en Afrique du Sud, pour demander à Washington de faire pression sur les États concernés [31].

En août 1960, l’éclatement de la Fédération du Mali, (composée des territoires du Sénégal et du Soudan français, l’actuel Mali) lui permet de se rapprocher à Modibo Keita, son ancien allié dans le RDA. À la fin de 1960 se forme la coalition Ghana-Guinée-Mali. Le 24 décembre, les trois chefs d’États se retrouvent à Conakry, où ils proclament leur intention de créer une union entre leurs pays. Bien que le contenu pratique de cette union reste lettre morte, la valeur politique de l’alliance entre les trois pays paraît importante. Elle démontre que Sékou Touré n’est pas isolé sur le plan africain. Certes, le Mali maintiendra avec la France des relations économiques significatives, mais sur le plan international, sa position sera tout à fait semblable à celle de la Guinée [32].

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